MENU
MENU
MENU

2 déc. 2024

La Santé

La santé est un droit inaliénable et non pas une marchandise. En France, et particulièrement dans des régions comme Nantes et les Pays de la Loire, le secteur privé joue un rôle de plus en plus important dans la fourniture de soins. Cela soulève une question essentielle : peut-on vraiment confier un domaine aussi crucial que la santé à des intérêts privés, par nature motivés par le profit ? La réponse, selon Michel Foucault est simple : non. Dans ses travaux sur le biopouvoir, ce philosophe a démontré dès les années 70 comment le contrôle de la santé publique par l'État était essentiel pour garantir la sécurité et le bien-être de la population. Pour Foucault, confier la santé à des intérêts privés, c'est risquer une perte de contrôle démocratique sur des enjeux vitaux. (1)

La santé n'est pas une marchandise. : elle est un bien commun, un service public, qui doit être accessible à tous et toutes et être géré par la communauté, pour le bien de tous. Une logique marchande, de marché capitaliste, appliquée à la santé, ne peut avoir que des conséquences négatives.

La Santé n'est pas un Marché

La logique du marché capitaliste repose sur l'accumulation de profits, la concurrence et la compétition. Cette logique est une aberration lorsqu'elle est appliquée à la Santé. En effet, la santé humaine ne peut pas être soumise aux lois du marché pour plusieurs raisons.

D’abord, les soins sont un impératif moral et une nécessité vitale. Puisqu'on ne choisit pas de tomber malade, ce risque doit être couvert par la société : c'est le principe de l'Assurance maladie, branche de la Sécurité Sociale. On ne peut pas accepter que quelqu'un renonce à des soins pour des raisons économiques. De plus, la complexité des soins médicaux rend les patients dépendants des experts et de leurs savoirs.

Quand on est malade, l'objectif est d'accéder au meilleur traitement, le plus accessible, pas le moins cher ou le plus rentable pour un investisseur. Le choix du traitement doit être effectué en fonction de la compréhension des enjeux médicaux et des perspectives du patient, non en fonction de ses moyens financiers. On ne peut pas avoir de soins haut de gamme et d’autres hard discount en fonction des revenus des patients, comme la logique de marché l’instaure systématiquement. Ces enjeux doivent être au cœur de la démarche du soignant, qui doit n'avoir aucun intérêt personnel, financier ou autre, dans la démarche de soin proposée à ses patients.

Ensuite, l'objectif premier d'une entreprise privée est de maximiser ses profits. Or, la santé exige une approche centrée sur le patient, où l'humain prime sur le profit. Confier la gestion de la santé à des intérêts privés mène inévitablement à des dérives.

La sélection des patients ou des activités les plus rentables entraînent des inégalités dans l'accès aux soins. Ainsi il arrive que des médicaments ne soient plus produits uniquement pour des raisons économiques par des laboratoires privés, médicaments pourtant vitalement nécessaires pour certains patients. (2)

La sous-traitance des soins ou des tâches (via de l’hospitalisation à domicile ou des prestataires de santé à domicile) provoquent inévitablement une réduction des coûts (matériel de moins bonne qualité mise à disposition des soignants par les établissements par exemple) au détriment de la qualité, et donc de la sécurité des patients.

Enfin, une augmentation des tarifs (dépassement d’honoraire par exemple) pour maximiser les marges bénéficiaires entraînent également des inégalités dans l'accès aux soins, en fonction des moyens financiers des patients. Ces pratiques, habituelles dans le système économique capitaliste, sont inacceptables dans un domaine où la vie et le bien-être des personnes sont en jeu.

On peut aussi illustrer ces dérives par l'ampleur de la fraude sociale due aux professionnels de Santé libéraux. En 2022, par exemple, la fraude globale détectée par l'Assurance Maladie a atteint un montant record de 330,2 millions d'euros liés aux professionnels de santé (près de 71 % du montant total de la fraude sociale). Cela concerne la facturation de fausses prestations non réalisées, ou la facturation d’acte non médicalement justifié. (3)

Les Dérives du Secteur Privé dans la Santé : exemples ligériens de casse de l’hôpital public

Prenons l'exemple de Nantes et de la Loire-Atlantique, où parmi d'autres, le projet controversé du nouveau CHU sur l'île de Nantes illustre bien les dangers de cette logique marchande appliquée à la Santé. Ce projet, pourtant public, est vivement critiqué pour sa gestion financière et sa conception. (4) Il est probable qu'il ne puisse pas répondre aux besoins de santé de la population, car il a été pensé avec des logiques de rentabilité et d'urbanisme.

Ce nouvel hôpital, en réduisant le nombre de lits et de soignants à l’échelle du département (groupement hospitalier de territoire 44), et en misant sur une prise en charge ambulatoire accrue, va probablement ne pas pouvoir prendre en charge de nombreux patients ayant besoin d'une hospitalisation prolongée.

Par ailleurs, ce projet, ayant été conçu en partie pour attirer des investisseurs et des promoteurs immobiliers sur l'opération immobilière à venir sur le site de l’Hôtel-Dieu (où plusieurs centaines de logements sont prévus), manque d'une vision de santé publique inclusive et accessible à tous. Les 1,5 milliards d’euros prévus viennent financer la construction du nouveau site de l’hôpital, et ne seront pas investis pour les soins ou l’innovation. C'est un exemple local de ce que l'introduction des logiques de marché dans la santé peut provoquer : une priorité donnée au profit et non aux besoins des citoyens.

Cette été la désorganisation du service des urgences de la clinique privée du Confluent, dans la Métropole de Nantes (à Rezé) (5) a par ricochet contribué à une saturation des urgences du CHU, avec des conséquences funestes avec 3 personnes décédées en attente de prise en charge. (6)

On peut aussi parler du cas de l’hôpital de Saint-Nazaire, construit sous le régime du partenariat public-privé, ce qui conduit à un endettement conséquent de cet hôpital qui limite ses capacités d’investissement et l’oblige à une collaboration avec la clinique (privée) de l’estuaire. (7)

Le privé prétend avoir une plus grande efficacité économique : on constate qu'il contribue surtout à une désorganisation du service de soins.

Augmentation de lits dans le privé en parallèle d'une baisse dans le public

De plus, les cliniques privées qui se développent dans les Pays de la Loire, comme à Nantes, à Saint-Nazaire ou à Angers, démontrent la privatisation en cours des soins hospitaliers.

Ainsi, dans la Métropole de Nantes, le regroupement de 4 cliniques privées dans le pôle Santé Atlantique (Polyclinique Atlantique) à Saint-Herblain passe de 324 en 2013 à 430 lits et places en 2023. (8) Dans le même temps le CHU de Nantes voit les fermetures de lits s’enchaîner, d’abord assumées par une logique budgétaire puis couvertes sous le prétexte du manque de personnel. (9)

Dans les établissements privés lucratifs, la sélection des patients et la recherche de rentabilité sont évidentes. Les actes médicaux les plus "rentables" sont privilégiés, au détriment des soins les plus complexes ou moins lucratifs qui sont quant à eux renvoyés vers l’hôpital public.

Dépassements d'honoraires et inégalités économiques

Dans ces cliniques privées à but lucratif, la pratique du dépassement d'honoraire est très répandue. Ainsi, selon l'UFC que Choisir, « on remarque surtout qu’il n’y a plus de chirurgiens en secteur 1 [c’est à dire sans dépassement] dans la métropole nantaise, sauf ceux du CHU de Nantes. Tous les autres sont en secteur 2 et peuvent faire des dépassements d’honoraires. Pour éviter les dépassements, les patients doivent aller au CHU mais les délais d’attente risquent d’être plus longs. Cela crée une inégalité flagrante d'accès aux soins, qui va à l'encontre des principes d'un service de santé universel. » (10)

Au-delà des cliniques, le problème vient également des médecins installés en ville, qui n'hésitent plus à contrevenir à la convention qu'ils ont signé avec l'Assurance maladie pour appliquer un dépassement d'honoraire à leurs patients, ce qui a d’ailleurs donné lieu à des menaces de sanctions par la CPAM du département vis-à-vis de 70 médecins. (11)

Selon le Comité nantais pour le droit à la santé et à la protection sociale pour tous et toutes (12) qui a réalisé une étude basée sur les données de l'Assurance Maladie en 2023, « plus l’agglomération est grande, plus les dépassements d’honoraires sont fréquents ». Autant dire que les inégalités d'accès aux soins sont non seulement d'ordre économique, mais aussi géographique.

D'après cette étude, dans la métropole de Nantes, seules quatre spécialités n’exercent pas majoritairement avec dépassements d’honoraire : la gynécologie médicale (32% des praticiens pratiquent des dépassements), la cardiologie (34 %), la gastro-entérologie (39 %) et la dermatologie-vénéréologie (40 %). Pour toutes les autres spécialités, un patient à plus de chance de payer de sa poche un supplément d’honoraire que de pouvoir se faire soigner au tarif conventionné.

En résumé, les dépassements d'honoraires sont courants, voir systématiques dans certaines spécialités (comme les ORL à La Roche-sur-Yon, où il est impossible de trouver un praticien ne pratiquant pas le dépassement d'honoraire) (13)

S'assurer que le système de Santé reste basé sur la solidarité et non sur le profit

Le secteur privé dans la Santé, c'est une moins bonne organisation, un accès au soin inégal géographiquement, plus coûteux pour les patients, et qui entraîne une dégradation du service public par transfert d'activités.

Face à ces dérives, il est impératif de réaffirmer la santé comme un bien commun loin des logiques de marché et de rentabilité. Cela signifie un système de santé entièrement public, ou associatif sans but lucratif, financé par les cotisations sociales et accessible à tous et toutes, sans distinction aucune, ni de revenu, ni de nationalité. Un système où les décisions sont prises de manière démocratique, en fonction des besoins réels de la population, et non des intérêts financiers.

En somme, il faut retrouver les principes fondamentaux de la Sécurité Sociale impulsés par le Conseil National de la Résistance, principes qui n’ont cessé de s’éroder année après année.

La Santé comme Service Public : une nécessité

Cela commence évidemment par redonner des moyens à l'hôpital public. Un plan d'investissement massif pour améliorer les infrastructures et les conditions de travail des professionnels de santé doit être mis en place de toute urgence.

La gestion de l’hôpital public doit être sortie des logiques de rentabilité. Les moyens financiers accordés à l’hôpital doivent être proportionnée aux besoins de soins de la population, et non à un équilibre comptable. Cela passe par la fin de la tarification à l'activité (T2A) dans les hôpitaux, ce mécanisme, qui oblige les établissements à se comporter comme des entreprises et privilégier des soins "rentables" économiquement.

Il faudra également renverser la tendance à la réduction des capacités hospitalières publiques et appliquer les mêmes obligations aux établissements de droits privées qu'au service public, notamment en termes de participation à la permanence des soins et d'obligation de prise en charge de tous les patients sans les trier selon le bénéfice à tirer de leur maladie.

La santé publique doit être organisée de manière à garantir l'égalité d'accès aux soins pour tous et toutes, sur l'ensemble du territoire, qu'on se situe dans une grande métropole ou pas. Cela implique de renforcer, le maillage territorial des hôpitaux publics, de soutenir les professionnels de santé dans leur mission, et de développer la prévention et l'éducation à la santé.

Un service public de santé efficace est un levier essentiel pour réduire les inégalités sociales, améliorer la qualité de vie de tous les citoyens et favoriser le développement d'une société plus juste et solidaire. En tant que bien commun, la santé doit être protégée des logiques de marché et gérée dans l'intérêt de la communauté. La privatisation de la santé est une aberration morale. La santé ne peut être considérée comme un simple produit de consommation. C’est un droit fondamental qui doit être garanti par un service public fort, géré de manière démocratique, et financé par la collectivité. La santé est un bien commun, et c’est à la communauté de la protéger et de la gérer.

 

Mathieu Declercq

Pharmacien, militant pour l'accès aux soins et à la santé

Nantais depuis une dizaine d'année, Mathieu exerce son métier de pharmacien en quartier populaire. Militant pour l'accès aux soins et aux services publics, il est convaincu que la lutte pour défendre l’hôpital public et la qualité des soins est primordiale. Il est membre du « Comité nantais pour le droit à la santé et et à la protection sociale pour tous et toutes »

 

Sources

(1) - Collège de France, Michel Foucault, Cours sur la “Naissance de la biopolitique” : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/naissance-de-la-biopolitique

(2) – Le Figaro, article du 3 juillet 2017 : https://sante.lefigaro.fr/article/le-casse-tete-des-medicaments-peu-rentables

(3) - Assurance Maladie, 25 janvier 2024, synthèse des actions de lutte contre la fraude : https://www.assurance-maladie.ameli.fr/qui-sommes-nous/publications-reference/assurance-maladie/rapports-thematiques/synthese-des-actions-de-lutte-contre-la-fraude

(4) - Faire Mieux, Mathieu Declerc, article du 16 septembre 2024 : https://pourfairemieux.fr/fr/blog/chu-de-nantes-un-naufrage-annonce

(5) - Presse Océan, article du 27 juillet 2024 : https://www.ouest-france.fr/sante/acces-regule-pour-les-urgences-de-confluent-a-nantes-fcbb4398-4c10-11ef-a622-0126aa35ae01

(6) - Ouest France, article du 7 août 2024 : https://www.ouest-france.fr/sante/deces-jusqua-soixante-dix-heures-dattente-un-ete-tendu-aux-urgences-du-chu-de-nantes-99404ebe-53f7-11ef-a1d5-0ad40f45dcb0

(7) - Hospimedia, article du 30 septembre 2024 : https://www.hospimedia.fr/actualite/articles/20240930-immobilier-les-conflits-avec-le-bailleur-entravent-l

(8) - Site internet du groupe Elsan : https://www.elsan.care/fr/sante-atlantique/notre-etablissement

(9) - Mediacites, article du 15 octobre 2020 : https://www.mediacites.fr/enquete/nantes/2020/10/15/covid-19-plus-de-100-lits-fermes-au-chu-de-nantes-faute-de-personnel/

(10) - Presse Océan, article du 27 décembre 2023 : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/des-depassements-dhonoraires-qui-passent-mal-fbe7b6c8-9a71-11ee-99a8-c8cd0c676f82#:~:text=Dans la région nantaise%2C on,plus 200 € d'anesthésistes

(11) - Ouest-France, article du 16 janvier 2024 : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/depassement-dhonoraires-des-medecins-de-loire-atlantique-rappeles-a-lordre-par-la-cpam-a12747ce-b48b-11ee-b2a2-ccb95da3b2ac

(12) - Site internet du Comité Nantais pour le droit à la santé et et à la protection sociale pour tous et toutes : https://coordination-defense-sante.org/vie-des-comites/pays-de-la-loire/le-comite-de-nantes/

(13) - Ouest-France, article du 7 juin 2023 : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/des-medecins-specialistes-moins-chers-a-la-roche-sur-yon-qua-nantes-et-angers-bc7783e8-fbc9-11ed-abcd-efa42af71e3f

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES