SMAC passe ou SMAC casse !
Sauvons le foisonnement culturel
Je fête en ce début d’année mes sept années de bénévolat pour la Scène de Musiques Actuelles (SMAC) Stereolux via l’association Songo. Sept années de spectacles, de nuits écourtées et autant d’émotions collectives partagées. Et avant cela, plusieurs années pour L’Astrolabe à Orléans, salle également labellisée SMAC. Un seul constat : merci à toutes les personnes passionnées de musiques actuelles, de danse et d’arts numériques qui accueillent chaque semaine l’équipe de bénévoles et font vivre le projet culturel des salles en France !
C’est quoi une SMAC et pourquoi c’est un maillon essentiel de la création musicale en France ?
SMAC c'est l'acronyme de Scène de Musiques Actuelles. Il y a 92 endroits labellisés SMAC en France, en milieu rural et urbain. Essentiels pour la musique (mais pas que), ils sont présents de la petite commune de Châteaulin en Bretagne jusqu’à Dijon en passant par Tourcoing ou Pau. Il n'y en a pas à Paris. Le label a été crée en 1996 par le Ministère de la Culture et succède au programme « Cafés-musiques ».
À l’époque, le Gouvernement souhaitait structurer économiquement le secteur des musiques actuelles et offrir des conditions de scène professionnelles aux artistes sur tout le territoire français. Le développement des politiques publiques en faveur des musiques actuelles prend alors tout son essor. Côté diffusion, les SMAC programment un mix entre musiques pop rock, chanson, jazz, musiques électroniques, musiques urbaines, musiques du monde et musiques traditionnelles. Cependant, des critiques récurrentes accusent les programmateurs d’offrir plus largement leur scène aux musiques pop rock et pas assez aux musiques électroniques et celles dites “urbaines” (comprenez le rap et le hip-hop).
Ces salles consacrées aux "musiques actuelles" proposent ainsi des concerts sur leurs territoires à moindre coût. Elles constituent un service public du concert. Les SMAC ont contribué à révéler des centaines d'artistes et font partie intégrante de l'industrie musicale en France. J'y ai découvert entre autres Ascendant Vierge, Agar Agar, Balladur, La Battue, La Sessualità, Manfield Tya, Forever Pavot, Gurriers, Sang Froid, TV Priest, Ojos, Avalanche Kaito et autres groupes de niches ou déjà mainstream qui font l’actualité musicale, en France, en Europe et dans le monde.
Les SMAC sont publiques et bénéficient donc de subventions (21% par l’État, 15% par la Région, 11% par le Département et 53% par les communes). L'Etat reconnait ces salles de concerts comme essentielles à la musique en France et leur définit des missions de service public :
diffusion de concerts
création
action culturelle
accompagnement d'artistes
Elles sont ainsi débarrassées de toute logique libérale. Des plus gros artistes mainstream permettent ainsi de financer les programmations d'artistes locaux ne faisant pas le plein par exemple. Leur but n’est pas de faire du bénéfice ou de la notoriété, à l’instar d’un Zénith ou d’une salle privée.
Les SMAC peuvent alors tester des artistes de niches, avec des propos, des concepts hors cadre, des propositions musicales pointues... sans craindre de ne pas remplir la jauge à plus de 80%. C'est ce qui fait la richesse de notre fourmilière musicale française, unique au monde. Cela n’empêche pas, pour autant, l’existence des salles privées et leur cohabitation dans le riche tissu culturel du territoire. C’est d’ailleurs primordial pour les pouvoirs publics locaux d’accompagner tout type de scènes, subventionnées ou non. Nicolas Fily, directeur de L’Autre Idée à Rennes, m’expliquait dans une interview pour le média “Le Vent Se Lève” le rôle primordial des lieux de diffusion privés (à Nantes : le Ferrailleur, le Macadam, Décadanse et autres cafés-concerts) et leur nécessaire cohabitation.
La diffusion est la partie émergée de l’iceberg pour les SMAC. Pour autant, on n’y vient pas uniquement pour consommer de la musique. Les équipes des salles s’activent quotidiennement pour accompagner les artistes locaux : elles leurs proposent des locaux de répétition, une scène professionnelle et des équipements. En sus, elles accompagnent les artistes en devenir dans leurs projets : aide à la professionnalisation de leur projet, modules et cursus de formation.
Le volet action culturelle auprès des publics prend également une part importante dans le fonctionnement des structures. À Stereolux, à Nantes, des rencontres et conférences sont ainsi organisées, des ateliers de création sont mis en place auprès de différents publics : scolaire, carcéral, etc. Un concert organisé en 2018 pour les personnes qui fréquentaient le restaurant social municipal Pierre Landais (aujourd’hui l’équipement public « Agnès Varda » sur l’île de Nantes) m’avait particulièrement marqué. J’y assistais en tant que bénévole, sur ma pause déjeuner. Le concert était organisé dans le cadre du projet « Stereolidaire » qui s’inscrit dans un souhait d’ouvrir plus grand les portes de la salle de spectacle pour favoriser l’accès à la culture des personnes dans la précarité et ainsi contribuer à renforcer le lien social.
Le groupe nantais « The Blind Suns » se produisait sur la pause du déjeuner, j’ai ainsi pu assister au set en déjeunant avec des personnes à la rue ou avec un logement et en situation de grande précarité. Déplacer la musique ailleurs que dans des salles sombres est toujours une bonne idée. Mélanger les publics et offrir des propositions culturelles à tous est un impératif. Il faisait bon être à Pierre Landais ce midi-là. Et je savais pourquoi j’étais bénévole pour la SMAC de Nantes.
Pourquoi les SMAC sont en danger ?
Dans le contexte actuel d’inflation et de crise énergétique, ces lieux sont mis à mal financièrement. Les lieux labellisés SMAC n'ont parfois plus les moyens d'accomplir les missions qui leurs sont confiées par le Gouvernement au titre de leur labellisation. Le Projet de loi finance pour 2024, présenté en fin d'année dernière par Bruno Le Maire remet par ailleurs en question leur modèle : il prévoit une réduction de 100 millions d’euros à la création. Les subventions des SMAC pourraient être rabotées et leur modèle économique réexaminé.
Qu'est-ce que cela implique ?
Que les programmateurs, contraints financièrement, privilégient des noms plus rassembleurs au détriment d'artistes émergents (ce qui met en péril la scène musicale française)
Que les salles soient moins accessibles, avec des tarifs d'entrée qui augmentent, ce qui contrevient à l’essence même des scènes labellisées SMAC : service public et accès universel
Deux structures organisent le secteur : le Syndicat des musiques actuelles (SMA) et la Fédération nationale des lieux de musiques actuelles (FEDELIMA). Elles participent aux réflexions sur l’avenir des SMAC et demandent notamment des moyens supplémentaires au Gouvernement pour ces scènes labellisées. Le Gouvernement, de son côté, mise tout sur le Plan “Mieux produire, Mieux diffuser” porté par la Direction générale à la création artistique (DGCA) qui consiste à favoriser les mutualisations et les financements croisés.
Toutefois, on sent que les conclusions du plan (qui seront connues au second semestre 2024) porteront sur un désengagement encore plus prononcé de l’Etat au profit des collectivités territoriales, toujours plus sollicitées, avec des dotations de l’Etat qui s’amenuisent d’années en années (lire l’article de Libération sur le plan de refondation du Gouvernement “Mieux produire, mieux diffuser”).
Combien de fois ai-je été trainer mes guêtres dans une SMAC sans savoir ce que j'allais découvrir ? Un groupe local de noise-punk, de l'afro-beat émergeant, des artistes hardcore, un ciné-concert sur les algues vertes : moults émotions, des découvertes majeures dans ma construction musicale, un bon nombre de “claques” culturelles.
Je termine ainsi ce papier comme une déclaration d’amour doublée d’une urgence : sauvons la labellisation SMAC, unique au monde, qui permet aux artistes de progresser, de se tester mais aussi de tourner et donc vivre de leur métier. Sauvons ces lieux culturels publics de la pression de la rentabilité : ils permettent aux publics de s’enrichir d’une culture à moindre coût.
Vive l’art, vive la musique, vive le théâtre et vive la danse qui nous nourrissent !
*Telerama nous explique dans cette récente vidéo de 12 minutes pourquoi les SMAC de France sont en danger (avec l’artiste nantais Voyou et le programmeur orléanais Matthieu Duffaud, ça ne s’invente pas) : https://youtu.be/YMk3tM2C_h8?si=SOJ06k1n0fYJwves
Pauline DEBRAY
Militante pour l'Accès Universel aux Services Publics et Culture Numérique
Pauline Debray, née à Issé et passionnée par les enjeux d'accès aux services publics, a consacré sa carrière à la fonction publique territoriale, enrichissant son expertise en culture numérique et social media. Convaincue de l'importance de l'alliance des territoires et militante à La France Insoumise, elle œuvre pour une société plus équitable et connectée. Son engagement culturel à Stereolux et son travail en communication pour La France Insoumise en Loire-Atlantique témoignent de sa volonté d'émancipation par la culture et d'un monde plus juste.