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7 avr. 2024

Parcours en pedopsychiatrie : comment ne pas devenir dingue ?

La casse des services publics touche sévèrement l’hôpital et la pédopsychiatrie en est le parent pauvre. Autant dire que les moyens alloués à ce secteur se réduisent à peau de chagrin dans notre région, laissant les familles livrées à elles-mêmes pour trouver des solutions pour leurs enfants malades. Je vous livre ici mon récit personnel, illustration de tout ce qu’il y a à reconstruire.

Octobre 2020, crise de decompensation psychique.

Ma fille est prostrée dans le noir depuis 3 jours, incapable de trouver une raison de rejoindre le monde des vivants qui est désormais son ennemi. Intervention du SAMU puis des urgences psychiatriques pour l’emmener, de force, dans l’unité d’hospitalisation pédopsychiatrique de La Rochelle. Elle y restera 3 semaines puis sortira pour laisser la place à plus mal en point qu’elle.

C’est le début de l’enfer avec une souffrance quotidienne qui n’est prise en charge qu’à la marge. Je vous passe la phobie scolaire et son corollaire, l’absentéisme puisque, peu à peu, elle est incapable de se lever le matin pour aller au collège.

L’année de 4ème se termine malgré tout à grand renfort d’anti-psychotiques, anti-dépresseurs et somnifères, tous plus inefficaces les uns que les autres. Mais aucune chimie ne peut venir à bout d’un malaise profond qui n’est pas suffisamment pris en charge par l’humain. Or, dans les CMP (Centres Médico-Psychologiques), ces lieux de soins publics sectorisés et ouverts à tous, les équipes de soignants sont rarement complètes et c’est pourtant par les regards croisés de professionnels que la prise en charge est véritablement efficiente.

Juillet 2021, direction la Loire-Atlantique.

Déménagement en Loire-Atlantique en juillet 2021. Le nouveau départ connaît des ratés : l’absentéisme est de plus en plus important. Elle se conforme parfaitement à l’étiquette « phobie scolaire » qu’on lui a collée. Et l’équipe de soignants est toujours impossible à réunir.

Elle est suivie au CMP par une psychologue mais, devant l’ampleur du mal-être, elle a aussi besoin d’un pédopsychiatre sauf que le CMP n’en a plus... Il faut chercher dans le privé… Or, le nombre de pédopsychiatres en Loire-Atlantique se compte sur les doigts des 2 mains. Bien évidemment, ils ne prennent plus de nouveaux patients. Je réussis tout de même à pleurer suffisamment pour obtenir un rendez-vous 4 mois plus tard. En attendant, sa psychologue est très inquiète car ma fille a désormais des hallucinations. Une hospitalisation en psychiatrie s’impose.

Elle s’impose mais il faudra encore l’attendre longtemps. Le SHIP (Service d’Hospitalisation Intersectoriel de Pédopsychiatrie) de Bouguenais, désormais seule structure de ce type en Loire-Atlantique, est vite saturé avec ses 14 lits et les adolescents sont placés sur une liste d’attente longue comme le bras. Il faut que les pédopsychiatres relancent l’unité tous les 15 jours pour ne pas voir sa position dans la liste d’attente rétrograder.

Et puis, une secrétaire me glisse une stratégie pour une admission plus rapide : aller aux urgences. Moi qui suis résolument engagée pour un monde plus solidaire, me voici forcée à avoir une stratégie égoïste face à un service public défaillant qui met en concurrence les malades entre eux pour accéder aux rares places.

Nous voilà donc parties pour les urgences, moi, ma fille et ses hallucinations. Après 8h d’attente, une jeune interne en pédopsychiatrie vient nous voir et nous explique, les larmes aux yeux, qu’il n’y aura pas de place pour ma fille puisqu’ils en sont à trier entre les tentatives de suicide celles qui sont jugées plus préoccupantes que les autres. Alors, effectivement, des hallucinations et une phobie scolaire, c’est peanuts…

Quoiqu’il en soit, la stratégie est payante puisque son admission aux urgences est rajoutée à son dossier, voyant sa place sur liste d’attente au SHIP conservée… Elle y sera admise en septembre 2022, 10 mois après la première demande.

Septembre 2022, enfin une reelle prise en charge pluridisciplinaire dans le secteur public !

Ma fille peut alors faire une rentrée en seconde accompagnée par le SHIP où elle retourne dormir tous les soirs. Elle tient bon pendant les 6 semaines d’hospitalisation au SHIP et même jusqu’en décembre grâce au suivi pluridisciplinaire du CMP adolescents de Nantes. Puis retour des absences, des insomnies jusqu’à la déscolarisation totale en février 2023. A ce moment-là, le CMP nous parle du lycée thérapeutique de Sablé-sur-Sarthe avec une prise en charge en clinique pour les soins psychiatriques : scolarité et soins au sein de la même structure. Je complète immédiatement le dossier et… ma fille y entrera un an plus tard, en février 2024.

3 ans et demi d’errance avant d’entrer dans un processus qui prenne en charge sa souffrance et la reconnecte au monde des vivants.

Notre histoire n’est pas isolée, on pourrait écrire plusieurs tomes de témoignages de familles qui ont vécu ces parcours tragiques car aujourd’hui, 13 % d’enfants et adolescents présentent au moins un trouble psychique en France soit 1,6 million de mineurs. Mais alors, comment se fait-il que ce soit si long tandis que la détresse psychologique des adolescents a bondi depuis la crise sanitaire ?

Quelques chiffres valent mieux que de longs discours…

  • 14 lits d’hospitalisation au SHIP pour toute la Loire-Atlantique puisque l’unité SHADO de Saint-Nazaire de 11 lits a fermé en 2023 faute d’avoir pu trouver un pédopsychiatre.

  • plus aucun professeur de pédopsychiatrie à la faculté de médecine de Nantes donc le nombre de pédopsychiatres n’est pas prêt de croître.

  • le lycée thérapeutique de Sablé-sur-Sarthe accueille 105 patients et il est le seul établissement de ce type pour un territoire englobant Bretagne et Pays de la Loire !

La souffrance des adolescents et de leurs familles ne vaut pas le coup d’investir massivement dans le secteur pour nos chers gouvernants. Les familles sont abandonnées et en particulier celles qui n’ont ni l’énergie, ni le temps, ni les moyens de continuer le combat pour leurs enfants. Les inégalités sociales dans le rapport au soin psychiatrique sont alors prégnantes avec une surreprésentation de jeunes issus de catégories socio-professionnelles favorisées dans les unités de soins-études comme le lycée thérapeutique.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé mentale est un "état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté". Ce n’est qu’en 2005, lors de la première Conférence ministérielle européenne de l’OMS sur la santé mentale, que les états membres ont affirmé la volonté de faire de la santé mentale une priorité notamment en termes de prévention, traitement, soins des troubles mentaux ainsi que de réadaptation. La France était signataire, paraît-il…

Mais la gestion comptable des moyens a pris le pas sur les grands discours, main sur le cœur… Le soin psychiatrique s’inscrit dans le temps long et notre société ne se donne plus le temps. Alors, on met un pansement sur une jambe de bois : la chimie médicamenteuse en lieu et place d’une prise en charge pluridisciplinaire des patients.

Pourtant, une autre vision de la pedopsychiatrie est possible…

Un appel à redonner les moyens à la pédopsychiatrie a été émis par LFI fin 2023 dans le document  «Enfance : notre plan d'urgence» (https://lafranceinsoumise.fr/2023/09/05/enfance-notre-plan-durgence/). Une vingtaine de mesures d'urgence en faveur de l'enfance y sont proposées dont certaines concernent plus directement la pédopsychiatrie avec pour objectif de «garantir le droit à la santé des enfants, notamment la santé mentale».

Cela passe par un renforcement des effectifs de santé dans les établissements scolaires avec plus particulièrement un doublement du nombre de psychologues de l’école à l’Université. Il faut aussi «redonner les moyens» à la pédiatrie et à la pédopsychiatrie en développant de nouvelles structures médico-sociales partout où il en manque sur le territoire et en réinvestissant dans celles existantes « afin de garantir un meilleur repérage des enfants et des adolescents et en permettant un accompagnement long» Le document pointe également la nécessité de renforcer les pratiques de soins pluridisciplinaires « pour améliorer la qualité des accompagnements des enfants et des adolescents ».

Enfin, ce n’est qu’en lançant un grand plan d'attractivité en faveur de la qualité de vie au travail, des conditions d'organisation du travail et des salaires des professionnels que le vivier de soignants en pédopsychiatrie pourra se reconstituer.


Christine Legnani

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

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