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7 juin 2024

Le vote electronique : Une menace insidieuse contre la democratie

Nous votons dimanche 9 juin pour les élections européennes et dans l’esprit de tous, l’urne transparente, l’isoloir, le bulletin de vote et le dépouillement citoyen constituent les symboles forts de cet acte démocratique. Cependant, sans bruit, loin de cette représentation commune, le vote électronique va concerner entre 1 million et 1,5 million d’électeurs. L’univers complexe des machines à voter doit nous interroger quant à ses implications, ses avantages supposés mais surtout les dangers qu’il véhicule pour la sincérité de nos élections.

État des lieux du vote électronique

En 2003, le ministère de l’intérieur utilise l’article L-57-1 du code électoral datant de 1969 qui l’autorise à agréer des machines à voter (de 3 types à ce jour : Nedap, iVotronics et Indra). Sous différents prétextes, certaines villes s’en sont équipées. En Loire-Atlantique ce sont 4 communes qui ont utilisé ou utilisent toujours des machines à voter : Blain, Pornichet, Orvault et Couëron. Les arguments plaidant en faveur de leur équipement sont de différents ordres mettant en avant le faible investissement des citoyens dans le dépouillement des scrutins, les économies de papier, la rapidité de sorties des résultats ou les économies faites sur les salaires majorés du personnel municipal.

Cependant, sur le coût de l’achat de ces machines, il est difficile d’avoir des éléments précis. Le ministère de l'Intérieur a estimé en 2004 le coût en France des machines à voter à 2 000 euros chacune en moyenne (1) mais selon le rapport du Forum des droits sur internet (2), le coût moyen s'est en fait élevé pour les communes entre 3 000 et 6 000 euros par machine, avec un prix moyen de 4 400 euros.

Toutefois, le périmètre des communes autorisées à en être équipées est gelé depuis le moratoire de 2008 du ministre de l’Intérieur. Lors de la présidentielle 2012, on note une baisse sensible de l'utilisation des machines à voter (82 communes en 2007 pour 1,5 million d'électeurs, 64 communes en 2012 pour un million d'électeurs, 67 en 2017). Depuis, un certain status quo semble régner dans le domaine des machines à voter. Aujourd’hui, 63 communes sont équipées de machines à voter, ce qui représente environ 1 500 bureaux de vote et 3 % du corps électoral.

Par ailleurs, les machines à voter sont agrées également dans le domaine des entreprises et leur utilisation a été facilitée dans la loi travail en 2016 pour les élections professionnelles. Il existe d’autre part des procédures de vote électronique dans un certain nombre d’instances (mutuelles, banques, syndicats ou associations). Mais, nous limitons ici notre réflexion aux machines à voter installées dans les bureaux de vote lors des élections politiques.

Le jour du scrutin : un moment particulier de démocratie.

La démocratie ne se réduit pas au vote et au choix de nos représentants. Nous luttons d’ailleurs quotidiennement et en dehors des élections, sur le plan social ou sociétal. Cependant il est indéniable que le jour même de l’élection revêt une importance démocratique particulière. En effet, c’est le seul jour où les citoyens recouvrent enfin leur entière souveraineté, avant de la placer à nouveau entre les mains du ou des représentants choisis à l’issue du scrutin. Dans notre 5ème République, cette action symbolique est au moins aussi importante que le choix lui-même. Or ce transfert de souveraineté ne peut être l’un des symboles même de la démocratie que s’il est jugé par tous et toutes comme sincère, équitable et transparent.

Ainsi le principe de légitimité du vote démocratique repose sur trois piliers :

  • La sincérité du scrutin, assurée par l’isoloir qui garantit à l’électeur le secret de son vote et donc la liberté de voter sans subir de pression

  • L’égalité du vote, chaque voix valant le même poids, principe qui doit s’accompagner de l’égalité des conditions d’accès au vote.

  • La transparence des règles et du déroulé du scrutin, ainsi que du décompte (et éventuellement du recompte) juste et vérifiable des voix, garanti par l’urne transparente et le dépouillement public

Or, sur ces trois points, le fait de remplacer l’isoloir, les bulletins et l’urne transparente, que nous connaissons et comprenons tous, par un ordinateur est une menace réelle et sérieuse mettant ainsi en danger la légitimité d’un scrutin pour les électeurs de ces bureaux de vote.

Des problèmes de sincérité et d’égalité

Clairement, un ordinateur est fait pour être programmé, et la modification de son programme est une tâche aisée pour ceux qui s’y entendent. Comment s’assurer qu’aucune modification du code n’ait été faite depuis l’agrément de la machine, et ce avec ou sans l’assentiment de l’équipe municipale ? Comment s’assurer que l’urne est vide ? Comment s’assurer que chaque vote soit bien comptée ? Comment s’assurer qu’un pilotage à distance ne se fasse pas même après la fermeture du scrutin ? Comment s’assurer qu’un bug de la machine n’ait pas modifié les résultats ? Comment s’assurer donc que la sincérité du vote est garantie ?

Rappelons brièvement les points pratiques qui posent problème dans le vote par ordinateur :

  1. L’ordinateur ne fournit aucune preuve matérielle du vote à chacun des électeurs.

  2. Rien ne garantit à l’électeur que son vote est pris en compte par la machine ou que celui-ci n’est pas détourné.

  3. Le dépouillement ne fournit aux membres du bureau de vote qu’un « reçu », un ticket plus proche du ticket de caisse que d’une quelconque preuve authentique.

  4. Les membres du bureau de vote, n’ayant pas connaissance de l’algorithme utilisé par la machine, sont bien incapables de prouver la véracité du résultat et sont obligés de faire confiance aux programmateurs.

  5. L’informatique n’est pas une science exacte et les bugs informatiques sont nombreux et peuvent passer inaperçus sans contrôle humain spécifique.

  6. Rien ne garantit, à l’instar d’un téléphone portable, que la machine ne reçoive pas ses instructions de l’extérieur …

Certains pourraient arguer qu’il existe des certifications pour ces machines, que celles-ci sont vérifiées en amont, que les cas de dysfonctionnements sont peu nombreux. Admettons même que cela soit le cas, le principe de transparence du scrutin est malgré tout rompu pour les électeurs qui sont forcés de déléguer la vérification du bon déroulé du scrutin à d’autres, de faire « confiance ».

Ainsi, outre les problèmes techniques inhérents à l’informatique, des problèmes éthiques et sociétaux à l’utilisation de ces ordinateurs sont également posés :

  1. Certains électeurs (personnes âgées, illettrées ou mal voyantes) peuvent rencontrer des problèmes pour procéder à leur vote. Le bulletin papier pouvait être préparé à la maison, calmement et posément ce qui ne peut pas se faire sous la pression du vote électronique « Allez-y Madame, Monsieur, vous pouvez voter ... » Il y a une réelle rupture d’égalité entre les citoyens.

  2. Que se passera-t-il si une panne d’électricité locale rend inutilisable la machine pendant un certain temps ? En effet, la machine est sensible aux actes de malveillances ou aux pannes. Il est probable que les résultats du bureau de vote soient gelés constituant une nouvelle rupture d’égalité citoyenne.

  3. Que se passera-t-il si un bug montre à l’évidence qu’une erreur a eu lieu comme en Belgique avec une erreur de plus de 4000 voix ? Là encore, probablement, le gel du bureau défaillant.

  4. Ces machines sont très onéreuses, moins écologiques (silicium et matière plastique) que l’édition de bulletin papier.

Que faire pour les 1,5 millions d’électeurs qui votent électroniquement ?

Nous n’aurons pas la naïveté de croire que le vote par bulletin papier ne permet pas la fraude, l’histoire nous a appris bien des choses. Mais à l’heure des cyber-attaques d’ampleur, des suspicions d’influence sur les scrutins nationaux par des puissances étrangères ou intérieures, la prudence ne devrait-elle pas nous inciter à revenir sur cette possibilité de voter par machine ? Et ce sont plus d’un million et demi de français qui voteront encore aux prochaines élections par ordinateur de vote.

Nous n’aurons pas la naïveté de croire que l’abstention ne trouve sa cause que dans l’utilisation de ces machines. La confiance dans les politiques et les reniements multiples de ceux-ci sont bien les causes principales de la désillusion des citoyens et leur abstentionnisme. Mais nous sommes persuadés qu’une généralisation des machines à voter amplifierait cette abstention, en ajoutant au manque de confiance des politiques, celui dans le processus électoral qui est le fondement même de nos démocraties. Les récentes contestations des résultats des élections Américaines le montrent.

Enfin, nous dirons que la suppression des machines à voter, si nous l’obtenions, comme l’Irlande en 2003, participerait d’un enjeu démocratique fort afin que chaque électeur et électrice se sente pleinement investi dans cette action électorale qui symbolise ô combien sa citoyenneté. Une éducation populaire en quelque sorte !


Olivier MAGRE

Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, Agrégé et Docteur en Sciences Physiques Appliquées

Né en 1967 à Saint-Nazaire dans une famille ouvrière, son parcours est marqué par un engagement multiforme. D’abord syndical au sein d’un syndicat enseignant, altermondialiste ou au sein de la FCPE, puis citoyen (par la création d’une AMAP), il se concrétise politiquement par son adhésion à la France Insoumise en 2016. Lors des élections législatives de 2022, il sera le suppléant de Ségolène AMIOT élue députée de la 3° circonscription de Loire-Atlantique.


(1) : Vote électronique, sur le site senat.fr – Publication au JO du sénat

(2) : Rapport intermédiaire « Le vote électronique par machines à voter aux élections politiques de l’année 2007, Forum des droits sur Internet décembre 2007. Sur les coûts moyens par machine, lire page 11.

Pour aller plus loin :

Chantal Enguehard. Le vote électronique en France : opaque & invérifiable. Terminal. Technologie de l’information, culture & société, 2007, 99-100, pp.199-214. halshs-00085071

Le Huffingtonpost : « Élections régionales et départementales: pourquoi les machines à voter posent un problème démocratique » par Chantal Enguehard

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