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9 sept. 2024

La Cite des Imaginaires : Le pas de cote mais pas de trop

Ce 16 mai 2024, la ville de Nantes présentait, fièrement et en images, son projet de Cité des imaginaires. Futur site du musée Jules Verne, cette Cité des Imaginaires se veut, sur le papier, un lieu culturel et touristique « populaire, ouvert, vivant et expérimental ». En réinvestissant et en rénovant le Cap 44, bâtiment architectural historique et grand symbole de l’identité ouvrière de Nantes, la mairie veut redynamiser tout le secteur du Bas-Chantenay en y implantant sa fameuse Cité.

Certains y verraient une belle occasion de redonner vie à cette partie encore en friche de la ville. D’autres, avec un certain cynisme, certes, y verraient l’occasion qu’a trouvée la mairie actuelle pour pallier l’abandon du projet de l’Arbre aux Hérons sur la deuxième moitié de la Carrière Misery.

Pour ma part, ma première réaction, loin de tout jugement moral et en simple exégète que je suis, fut d’y voir encore une machine pour touristes. Certes, la figure de Jules Verne n’est pas assez mise en avant à Nantes, sa ville pourtant natale. La volonté de donner un nouvel espace, plus grand et plus ambitieux à cette figure précieuse de la culture nantaise est belle. Mais en y regardant de plus près, je ne peux m’empêcher de ressentir encore un certain écart entre la bonne volonté affichée et le potentiel réel que pourrait développer la ville à partir de Jules Verne et de son « imaginaire ». Comme un pas de côté, mais pas de trop.

Imaginaire : un mot vide de sens au service de la gentrification

Imaginaire. Quel mot fort. Mais quel mot creux parfois. Car sans le rattacher à une personne, un groupe ou une culture, l’imaginaire n’existe pas en soi. L’imaginaire sans source et sans objet est aussi vivant qu’une souche d’arbre. Néanmoins, je me garde bien de lancer une dissertation sur le terme, car je souhaite ici plutôt analyser à partir de celui-ci à quoi il sert.

Partout nous voyons ressasser, parfois jusqu’à l’écœurement, souvent jusque dans les pubs dans les couloirs du métro parisien, le même slogan depuis plusieurs dizaines d’années : Nantes, ville des imaginaires. Et maintenant, cette belle, que dis-je, cette grande Cité des Imaginaires vient remettre une pièce dans la machine de cette tendance abstraite à vouloir mettre le mot « imaginaire » sur chaque brochure de la ville.

Car à Nantes, les manifestations et lieux culturels pouvant stimuler l’imaginaire des gens ne manquent pas. Voilà en tout cas quelque chose que l’on ne peut enlever à Monsieur Ayrault. Mais le mot imaginaire semble, en cette ville, être constamment utilisé à des fins touristiques. Donc pécuniaires, économiques. Sans autre dimension ni ambition. Mot creux, disions-nous.

Pire, l’imaginaire proposé, présenté, imposé, se calque toujours sur la même méthode. Réhabilitation d’anciennes usines, d’anciens entrepôts, d’anciens hangars, d’anciens quais, pour les transformer en musées haut de gamme, en tiers-lieus minimalistes boboisants, en cafés-branchés et restaurants chics. En somme, toute l’identité ouvrière nantaise est effacée, rénovée, voire réutilisée comme argument marketing pour attirer les cadres, les familles de classes moyennes et supérieures à s’installer à Nantes. Cruelle ironie, l’ouvrier et son histoire servent désormais à la gentrification bourgeoise et donc au phénomène global de métropolisation des villes.

Ce dernier standardise et uniformise la ville de Nantes au bénéfice de la bourgeoisie et au détriment du peuple, toujours relégué aux quartiers et communes limitrophes. L’imaginaire nantais est donc capitaliste. Grande surprise ! Et ce nouveau projet de Cité des Imaginaires semble devoir servir cette cause.

Pour autant, nous ne jetons rien de la dimension culturelle et éducative voulue à travers celui-ci. Car le projet de Cité n’est pas en soi le problème. Le problème est la vision court-termiste que la figure vernienne et tout ce qu’elle renferme est ici malheureusement destinée à servir.

La Cité des Imaginaires, ou la cité de l’imaginaire touristique

La Cité des Imaginaires en soi ne peut être cataloguée dans la section des « grands projets inutiles ». C’est sa dimension à l’autosatisfaction bourgeoise et le processus de disneylandisation de la ville qui sont à mettre de côté. Car « l’imaginaire vernien », loin de toute sa dimension libérale censitaire propre à la philosophie des Saints-Simoniens, peut être une véritable source d’inspiration pour la mise en place de la bifurcation écologique à l’échelle métropolitaine.

Verne croyait en la science et ses avancées. Son œuvre précurseure est un élément à choisir et dont l’intention est de montrer à l’humanité que face aux enjeux et limites de tout temps, existe dans l’esprit humain une volonté de résoudre, de répondre aux enjeux historiques en créant et en innovant, pour tous.

L’utiliser à des fins stratégiques purement touristiques, en le servant dans un écrin bétonnier insipide, exigeant du quidam un vaste effort pour y voir quelque chose d’inspirant, ce n’est pas lui faire hommage. C’est l’exhumer pour en faire une attraction boboisante sans autre issue que l’effacement in fine de sa véritable dimension populaire. En outre, le mettre en avant en réhabilitant le Cap 44, c’est l’utiliser comme le clou définitif dans le cercueil du passé ouvrier de la commune chantenoise.

C’est en faire, là encore, un argument marketing pour attirer de nouveaux habitants aisés, qui ne seront en rien soucieux de l’augmentation du prix de l’immobilier du secteur. La gentrification a de beaux jours devant elle, et grâce à Jules Verne en plus. Un bel imaginaire que voilà.

Assez. La ville n’est pas un parc d’attraction pour bourgeois. La ville, dans toutes ses parties, n’est pas un écrin renfermé dont on chasse le pauvre pour bénéficier au riche en usant de son identité prétendue. D’autant plus qu’en usant d’un imaginaire dévoyé de toute substance. La ville est aujourd’hui le premier lieu de vie du peuple. Ce dernier la fait vivre, la façonne en fonction de ses besoins et non pour répondre à une caste en mal d’identité. L’imaginaire ne se décrète pas. Il se construit au fil des siècles, dans la durée des temps, la lutte entre classe, la violence du débat et la force de l’entente pour la définition et l’atteinte du bien commun.

L’imaginaire Nantais se construit sur son héritage ouvrier et industriel

Une ville comme Nantes s’étouffe sous le manque d’imagination de ses dirigeants. Caste qui n’a eu de cesse d’attaquer les classes populaires en répondant en premier lieu à ses besoins de confort personnel. La cicatrice des comblements de la Loire et les carcasses des chantiers navals en sont toujours la preuve criante. Or la force populaire nantaise est plus que jamais vivante et disponible pour enfin entrer dans le XXIe siècle et affronter ses défis. Peu à peu, l’angoisse liée au changement climatique, à la montée des eaux, à la métropolisation à outrance, et donc au capitalisme mourant laisse la place à la courageuse colère de l’action.

Les milieux culturels, artistiques, éducatifs et industriels nantais regorgent de puissances populaires, syndicales ou contestataires n’appelant qu’à une chose : l’action pour sauver la mise, l’action pour rendre un autre monde possible pour toutes et tous. L’imaginaire nantais, construit autour de la force ouvrière générée à la suite de l’émergence spectaculaire de la société industrielle du XIXe siècle, source d’espoir et d’admiration pour un futur désirable, semble encore palpable. Encore faudrait-il lui donner un cap à l’aune de la nécessaire bifurcation écologique.

Ce cap, inspirant l’imaginaire nantais et suscitant idées, innovations, créations et vocations pour répondre au défi climatique, pourrait être la Cité des Imaginaires, mais revue et corrigée pour répondre plus clairement aux aspirations populaires nantaises.

Une nouvelle cité de l’Imaginaire, des Sciences et de l’Industrie

Comme évoqué, il ne s’agit pas là de jeter l’idée même d’une Cité des Imaginaires rendant hommage à l’œuvre de Verne et à ce qu’elle a inspiré, à la fois pour l’histoire humaine moderne et la ville de Nantes. Bien au contraire. Il s’agit d’appeler à la création d’une Cité des Imaginaires, des Sciences et de l’Industrie faite pour le peuple et ses générations futures. Une belle manière de répondre au besoin de mettre en avant l’imaginaire nantais, construit autour de l’esprit vernien et de la culture ouvrière et industrielle navale, serait de faire de cette cité un véritable centre dédié à la vulgarisation scientifique, technique, artistique et industrielle. Un vaste espace d’éducation populaire, ouvert au grand public, et donnant la part belle à l’imaginaire de l’innovation industrielle nécessaire à la bifurcation écologique.

En soi, un grand centre très « vernien », un « visionarium » ludique, ambitieux et qui pérenniserait ce que les Utopiales réussissent si bien chaque année. À savoir créer de la réflexion et de l’espoir sur notre rapport au temps, aux sciences, à la nature et à l’avenir en faisant se rencontrer le monde des arts et des sciences tout en sachant rester accessible à tous.

Ainsi, la Cité des Imaginaires, des Sciences et de l’Industrie assiérait une chaire de recherche et d’innovation effective pour pousser à et lancer la planification écologique sur tout l’estuaire. Planification dont la Métropole, puis le pays, aura besoin dans les années à venir.

Quel lieu choisir ? Ne pas limiter notre ambition

Mais au-delà de cette idée de nouvelle cité, reste encore la question du lieu à choisir. Car si, à partir de cet imaginaire industriel ressuscité, Nantes peut redevenir un épicentre ouvrier et scientifique au service des besoins de l’humanité, le secteur du Bas Chantenay ne peut accueillir un tel centre grand public. Et encore moins dans le bâtiment du Cap 44, que nous jugerons ici trop petit. Car toute cette zone est de grand intérêt pour tout esprit imaginatif cherchant à faire de Nantes une grande cité éco-populaire, foisonnante d’innovation et regorgeant d’emplois.

Si nous devons, soyons fous, me direz-vous, rouvrir les chantiers navals nantais afin de construire du FRET maritime et fluvial et redonner à l’Estuaire toute sa puissance industrielle, la zone du Bas Chantenay en serait déjà une assise idéale. Nous devrons donc choisir un autre lieu d’implantation. Qui sait ? Peut-être que les anciens bâtiments de notre vieux CHU pourraient servir ? N’ouvrons pas le débat tout de suite.

Une cité des imaginaire au service d’un cap écologique et populaire sur 100 ans

Cette cité pourrait prendre vie sous des formes multiples et décentralisées. Mais réfléchissons à ce cap écologique populaire que le peuple nantais peut fixer pour le siècle qui vient. Toute la réflexion autour de la réappropriation de la Loire a généré moult idées de réimplantation industrielle à dimension écologique, allègrement balayées par les élus nantais au bénéfice de leur vision touristique et pécuniaire.

Rendons honneur à ces travaux au service du peuple humain, de ses besoins et de la nature. Ces propositions autour du lien de la ville au fleuve et à la mer, qui peuvent réinitier l’inscription de Nantes dans le projet ZIBAC Loire et estuaire (1), doivent nous servir de base pour faire revivre notre imaginaire commun. La mer et son industrie ne sont pas le passé. À Nantes, la mer est notre avenir et nous devons tourner notre regard vers elle.

Notre imaginaire commun à Nantes ne peut rester dicté par une classe bourgeoise fastidieuse. Notre imaginaire commun à Nantes ne peut se départir de sa dimension à relever les défis techniques que le changement climatique nous impose. Alors, reprenons-le en main. Exigeons notre Cité des Imaginaires, des Sciences et de l’Industrie comme la première pierre de la reconquête de notre avenir commun et désirable. Relevons la tête vers l’horizon, recommençons à rêver des solutions qui garantiront notre égalité, notre liberté commune. Car au loin, à Nantes, la mer nous parle, elle est notre avenir. Et comme l’écrit si bien notre bon Jules : « La mer est le vaste réservoir de la nature. C'est par la mer que le globe a […] commencé, et qui sait s'il ne finira pas par elle ! Là est la suprême tranquillité. La mer n'appartient pas aux Despotes. […] Vivez au sein des mers ! Là seulement est l'indépendance ! Là, je ne reconnais plus de maîtres ! Là je suis libre ! »

Joseph BOURDAUD


(1) Présentation de l’appel à projets “Zones industrielles Bas Carbone” (ZIBAC) Loire Estuaire de novembre 2022 : https://www.entreprises.gouv.fr/fr/actualites/france-2030/nouveau-laureat-pour-l-appel-projets-zones-industrielles-bas-carbone

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