MENU
MENU
MENU

26 avr. 2024

L’uberisation du secteur de l’accompagnement a domicile est en marche !

Envie d’une pizza ? Le tâcheron 2.0 est là pour toi. "worker on tap", pour faire moderne. Le projet de tacherons 2.0 (tâcheronnes plutôt) de « l’accompagnement » à domicile des personnes fragiles et dépendantes est dès à présent, sorti des tiroirs du Ministère des Solidarités par la récente réforme du cahier des charges de l’agrément des Services d’Aide et Accompagnement à Domicile, via l’article R. 7232-6 du code du travail.

Ce projet ouvre désormais aux plateformes numériques de type Uber, la possibilité de se positionner sur le secteur. Il était jusqu’à présent conditionné à l’existence d’une agence physique gérée par des professionnels du secteur qui assuraient l’accueil, les temps de concertation, l’évaluation des besoins à domicile, la gestion des plannings des intervenant·es en fonction des besoins des publics, et l’astreinte téléphonique 7j/7.

Je suis auxiliaire de vie. Cela fait des années que l’on hurle auprès des pouvoirs publics, gouvernement et départements (financeurs de l’autonomie et du handicap) que le secteur est en souffrance, en urgenceS vitaleS. Nous, les salariées de terrain, les coordinatrices et responsables de structures, alertons depuis de trop nombreuses années.

La valse des rapports gouvernementaux

Depuis 2017, ce ne sont pas moins d’une dizaine de rapports et missions parlementaires qui ont été commandés. Tous font état des problèmes de recrutement de professionnel·les du lien et du soin (aide à domicile, auxiliaire de vie, ASH, aides-soignantes), le fameux « manque d’attractivité du secteur » face à des besoins qui augmentent au regard du vieillissement de la population. [1]

Les solutions sont posées : Il faut revaloriser les salaires afin que nous puissions vivre de notre travail [2] ET s’atteler à une organisation du travail en équipe, en tournée, avec une réelle formation continue afin que nos corps ne soient pas brisés [3] et les personnes accompagnées efficacement et dignement : Il faut une volonté politique, donc LÉGIFÉRER, un PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) qui mette l’argent public indispensable sur la table.

La loi « grand âge » promise dès le début du 1er quinquennat d’Emmanuel Macron, a été maintes fois repoussée puis abandonnée par Jean Castex, puis ressortie du tiroir par Elisabeth Borne, pour être de nouveau repoussée aux calendes grecques par Gabriel Attal.

Il n’y donc aura pas de loi grand âge. Pas de PLFSS à la hauteur des besoins des citoyens. De l’argent pour l’armement, pas pour les gens. Je passe sur la récente loi « bien vieillir » qui est une coquille vide : un vide sidéral et sidérant face aux constats et urgences. Des professionnels du secteur écrivent de façon plus « politiquement correcte » : « l'ambition de cette proposition de loi reste limitée. »

La solution de notre gouvernement "Start-up Nation" ? L'uberisation du secteur

Mais notre gouvernement « StartUp Nation » a une solution pour palier au fameux manque d’attractivité du secteur : L’ouverture à l’uberisation du secteur. Un « job »? Un clic. Un besoin ? Un clic !

Je vous laisse apprécier la sémantique du ministère des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, tirée d’une réponse à un sénateur questionnant sur, je cite, « une menace pour la qualité et la sécurité des prestations réalisées auprès des publics fragiles au profit de l’uberisation du secteur de l'aide à domicile. » (Question écrite n°06698 - 16e législature)

« La réforme proposée du cahier des charges de l'agrément prévu par l'article R. 7232-6 du code du travail vise à intégrer les nouveaux modèles de prestation de service à la personne s'appuyant notamment sur le digital … Compte tenu du vieillissement de la population, il s'agit notamment de répondre à la demande très forte des Français de pouvoir demeurer à leur domicile le plus longtemps possible en permettant à de nouveaux acteurs innovants et digitalisés de compléter l'offre d'accompagnement à domicile. »

-source JO Sénat du 11/05/2023 -

Il faut ici dénoncer les risques de cette « digitalisation », pour les publics fragiles et dépendants et les professionnel.les de l’accompagnement.

Absence d’agence physique et d’astreinte téléphonique de proximité

L’agence physique, gérée par des professionnels, est gage de qualité et de sécurité de l’accompagnement, la proximité est indispensable au recrutement des intervenant·es, à leur formation continue, aux temps d’échange entre les différents professionnels (Services de Soins Infirmiers A Domicile-SSIAD, tuteurs, curateurs, proches-aidants), face à des situations en constante évolution et aux urgences quasi quotidiennes à gérer.

Elle est indispensable pour effectuer les évaluations et ré-évaluations des besoins de la personne aidée à domicile. L’astreinte téléphonique 7j/7 doit être circonscrite au périmètre d’intervention des professionnelles, qui peuvent assurer les prises en charge les plus efficaces possibles car elles travaillent sur un secteur déterminé et sont en lien. Comment répondre aux besoins essentiels, aux urgences, si l’on ne connaît ni la personne, son environnement, ses pathologies?

Imaginerait-on un Service de Soins Infirmiers à Domicile, un service hospitalier sans temps de transmissions ?!

Pour rappel ou information au sujet du financement du secteur de l’accompagnement à domicile: l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie (APA) et la Prestation Compensation Handicap (PCH) est un financement public. Ces plateformes numériques bénéficient des mêmes exonérations de cotisations patronales que les structures existantes. Un pognon de dingue… pour « livrer » une aide à la toilette comme on livre une pizza! Exemple : https://wanteez.fr/ « Le service à domicile nouvelle génération »

Cette décision d’ubériser le secteur de l’accompagnement signe le mépris du gouvernement envers les professionnel.les de l’accompagnement à domicile, les personnes accompagnées et leurs proches. Nous parlons de personnes fragiles et dépendantes, souvent isolées, pas d’un colis à tracer et livrer! Nous parlons de professionnelles formées pour assurer des prestations essentielles, pas d’un « job à trouver » .

Cette décision des ministres de l’économie et des solidarités s’inscrit également dans la droite ligne de la réforme de l’assurance chômage dont le but, ressassé à longueur de prises de parole, est de mettre tout le monde au travail dans les secteurs en tension et par tous les moyens. Peu importe les publics, leurs besoins et les compétences requises.

Mais aussi, bien sûr, de continuer la casse du salariat et des droits qui s’y attachent.


Juliette COANET

Auxiliaire de Vie, professionnelle du Lien et du Soin.

Juliette Coanet est Auxiliaire de Vie dans une entreprise de Loire Atlantique, élue au CSE avec mandat syndical CGT. Elle a été danseuse, enseignante en danse et animatrice d’ateliers à visée thérapeutique dans diverses structures de soins psy et médico-sociales suite à un DU d’art en thérapie et psychopédagogie à Paris V. Elle est co-fondatrice du collectif « Les Essentiel.les du Lien et du Soin » qui regroupe des aides à domicile, AESH, ASH et aidants qui travaillent en collaboration avec des député·es de différents groupes politiques et s’est formée à la conférence gesticulée auprès de l’Ardeur (Franck Lepage). « J’vous prête ma blouse »

https://juliettecoanet.wixsite.com/monsite


[1] Pour l’accompagnement à domicile, c’est aujourd’hui 150 000 postes non pourvus pour assurer la totalité des plans d’aide APA (Allocation Personnalisée pour l’Autonomie) et PCH (Prestation Compensation Handicap), les besoins seront de 300 000 collègues à l’horizon 2030.

[2] Les aides à domicile sont au SMIC horaire, les auxiliaires de vie ont 5 centimes brut de plus, de nombreux temps partiels imposés, une amplitude de journée jusqu’à 12h payées 7 ou 8h à cause de plannings à trous, travail le weekend et jours fériés, la grande majorité des collègues travaillent avec leur véhicule personnel et une indemnité kilométrique entre 22 et 45 centimes du km (sous le barème des impôts)

[3] 3 fois plus d’arrêts et accidents de travail que dans le BTP (chiffre AMELI). L'âge moyen de licenciement pour inaptitude professionnelle est sous les 50 ans pour seulement 9 années d’exercice dans le secteur.


Pour aller plus loin :

Un « formidable » article des Echos de 2018 sur le salariat et la protection sociale, ces gros mots dont il serait bon, d’après l’auteur de l’article, et Alain Supiot, que « l’homme contemporain » se débarrasse : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/tacherons-20-quel-droit-social-132321

Sur le statut de « mandataire », statut indigne dans notre secteur, guère éloigné de l’uberisation en terme de contrat précaire/travail à la tâche : https://basta.media/aides-a-domicile-revoltees-conditions-de-travail-salaires-CGT-auxiliaire-de-vie-milieu-rural#:~

https://www.vie-publique.fr/en-bref/282286-aides-domicile-conditions-de-travail-et-risques-psychosociaux

https://www.sante-et-travail.fr/aides-a-domiciles-veulent-sortir-leur-travail-lombre


© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES