Histoire d’Abdessalam et les faches vraiment fachos
«Ils viennent en France pour toucher les allocs», «Prenez-les chez vous si vous les aimez tant!» ou plus light, «On ne peut pas accueillir toute la misère du monde». Voici des phrases que l’on peut désormais entendre de manière tout à fait décomplexée que ce soit dans les médias ou lors de nos actions de terrain.
Il se trouve que j’en ai effectivement «pris un» chez moi. Je vous raconte son parcours, entre fuite de l’atrocité de la guerre et galères administratives, illustration de la crise de l’accueil que traverse feu la patrie des Droits de l’Homme.
Motivations d’expatriés : venir en France pour toucher les allocs, vraiment ?
Je reprends la terminologie de mon camarade Thomas Boutigny pour parler du parcours de vie d’Abdessalam car oui, il s’agit d’une expatriation. Sa famille, ou du moins ce qu’il en reste, est au Darfour, à l’Ouest du Soudan. Il n’a donc pas décidé de migrer mais bien de quitter sa patrie pour fuir la guerre.
Cette guerre au Darfour dure depuis 1972, soit depuis 50 ans déjà. Abdessalam naîtra 15 ans plus tard au cœur de la guerre d’épuration ethnique qui a fait entre 100.000 et 400.000 morts et plus de 3 millions de déplacés. Les États-Unis n’hésitent pas à parler de génocide…
Abdessalam arrive chez moi en décembre 2022 avec ses béquilles, accompagné par sa professeure de Français. J’avais longuement échangé avec elle avant son arrivée pour l’accueillir au mieux. Tout n’était pas très clair pour elle sur le parcours d’Abdessalam mais elle savait notamment qu’il ne fallait pas parler de viol en sa présence. Le viol est une arme de guerre au Darfour. Plusieurs de ses sœurs et son père sont morts. Il reste là-bas sa mère et 2 de ses sœurs.
Abdessalam a des béquilles car il vient de se faire opérer de la hanche. Plus tard, il subira aussi une opération du genou. Lorsqu’il a fui le génocide au Darfour fin 2020, Abdessalam s’est retrouvé en Libye. Là, il a été capturé et réduit en esclavage pendant près de 8 mois. Il a tenté de s’échapper mais les milices libyennes lui ont tiré une balle dans la hanche et une autre dans le genou. On ne sait trop comment mais il a reçu des soins rudimentaires en Libye qui lui ont permis de pouvoir marcher.
Il a ensuite traversé l’Algérie et est arrivé au Maroc où il a été capturé par la police. Il est parvenu à s’échapper la nuit suivante et, avec d’autres expatriés, a pris un bateau pour traverser la Méditerranée. Aux portes de l’Espagne, l’embarcation a chaviré. Il s’est retrouvé dans le coma sur une plage espagnole. Après s’être rétabli à l’hôpital en Espagne, il a pris un bus pour Nantes où se trouvait déjà son cousin. Au CHU, il a pu être opéré de la hanche et c’est à ce moment-là qu’il est arrivé chez moi.
Crise migratoire ou crise de l’accueil
Alors qu’il vient d’être opéré, que tous ses soins sont à Nantes et qu’il a commencé à se constituer une vie entre ses cours de FLE (Français Langue Étrangère) à la Perle et son cousin, l’État lui propose un hébergement à Angers… Sa professeure de Français cherche alors des solutions: personne ne veut/ne peut l’accueillir en raison de sa convalescence. J’ai la chance d’avoir une maison de plain-pied et, par le biais d’un canal Telegram, je reçois le message de détresse. Le voilà donc installé chez moi, au départ pour 2 semaines. On cherche un infirmier pour les pansements puis un kiné. Les 2 semaines passent, on apprend à se connaître, il est merveilleux. Bref, il reste avec nous.
Il fait appel du rejet de sa demande d’asile. En effet, il en a été débouté à son arrivée en France. Lors de l’audience, il était accompagné d’un interprète qui ne parlait pas le même arabe que lui. Dès lors, l’État a considéré que le fait qu’il ait des balles dans le corps pouvait laisser penser qu’il appartenait à une milice libyenne… Il faut donc rassembler des témoignages pour prouver le contraire…
J’apporte ma pierre à l’édifice en expliquant dans un courrier à quel point Abdessalam fait tout ce qui est en son pouvoir pour apprendre la langue en multipliant les cours de Français, à quel point il est gentil et serviable dans notre maison et à quel point il s’engage aussi pour les autres en étant bénévole dans une association de cantine solidaire. Son avocate m’indique qu‘elle ne produira pas mon témoignage car, si le juge estime qu’il est trop entouré, il se dira qu’il n’y a pas besoin de l’aider davantage en lui accordant le statut… Après plus d’un an et demi d’attente et l’appui d’associations, il obtient enfin le statut de réfugié !
Dès lors qu’il est officiellement autorisé à rester sur le territoire, l’allocation mirobolante de 400€ qui lui était octroyée s’arrête et, bien entendu, il y a un délai de 2 mois avant de toucher effectivement le RSA. 2 mois sans rien… C’est ce qu’il se passe pour tous ceux qui obtiennent le statut. Belle façon d’accueillir officiellement les gens en France !
Le parcours administratif est particulièrement violent pour qui ne maîtrise pas les codes : trouver une banque, s’inscrire à la CAF, s’inscrire à Pôle emploi… Ensuite, il faut s’actualiser chaque mois. Si Abdessalam parle très bien Français, l’écrit est nécessairement plus compliqué pour lui. Mais pas d’indulgence des institutions: il sera radié de Pôle emploi pour n’avoir pas coché la bonne case, devra se réinscrire; le RSA sera suspendu pour un défaut d’attestation du statut de réfugié qui devait être renouvelée mais la Préfecture avait du retard…
La galère pointe le bout de son nez de façon récurrente. Elle s’accompagne d’un racisme ambiant absolument abominable…
Être noir en France aujourd’hui
Deux anecdotes mais il y en aurait tant d’autres à raconter… La première date de la mobilisation contre la réforme des retraites. Je me rends à une manifestation. Comme je ne goûte que très peu les pluies de lacrymos, j’ai dans mon sac tout l’attirail pour m’en protéger. Il se trouve que le masque de ski n’est pas autorisé. Je suis accompagné d’Abdessalam, qui lui se rend à un cours. Nous arrivons devant un contrôle policier. Qui donc va être fouillé ? Moi, blanche, la quarantaine, avec mon masque de ski dans le sac ou Abdessalam, noir, avec ses cours de Français dans le cartable ? Vous devinez la réponse…
Deuxième histoire dans les transports: Abdessalam prend le bus. A la descente du bus, des contrôleurs… Abdessalam cherche sa carte de bus et ne la trouve pas. Il dit au contrôleur qu’elle a dû tomber de sa poche dans le bus et demande à aller la chercher. Refus. Le contrôleur lui demande de payer une amende parce qu’il voyage sans titre de transport. Un migrant est forcément un délinquant dans la tête de ce petit monsieur… Abdessalam qui est en règle refuse. Le contrôleur appelle la police. Deux policiers arrivent. L’histoire dure maintenant depuis plus d’1h. Dans un premier temps, ils appuient le contrôleur mais, l’un des policiers semble encore posséder une âme. Il monte dans le bus qui est quand même immobilisé depuis plus d’une heure et… il trouve la carte d’Abdessalam. Le contrôleur devra s’excuser à contre-coeur…
La stigmatisation subie par Abdessalam et la plaie administrative ne sont évidemment pas isolées et la montée du fascisme peut faire craindre qu’elles ne s’accroissent. L’adoption de la loi asile-immigration sans vote de l’Assemblée Nationale en est le symbole après 20 lois en 40 ans sur le sujet. Cette loi constitue une attaque sans précédent aux droits des personnes migrantes et dit beaucoup de l’atmosphère nauséabonde qui règne dans notre pays.
Le conseil constitutionnel a heureusement censuré les articles relatifs aux allocations familiales, au droit du sol, au délit de séjour irrégulier, mais les régressions n’en demeurent pas moins majeures avec l’extension des expulsions à certaines catégories jusque-là protégées, la double peine, la fin de la stabilité des titres de séjours entre autres. La promesse d’une réforme de l’AME est aussi à craindre, celle-là même qui a permis à Abdessalam de se faire soigner…
Pourtant, une autre politique migratoire est possible, une politique du respect de l’autre, de la solidarité, de la fraternité, de l’accueil. Nous n’avons pas d’autres choix que de trouver des solutions à la crise de l’accueil. Rien n’arrêtera jamais quelqu’un qui fuit la guerre, la misère ou les conséquences du réchauffement climatique. Il faut, dès lors, engager des mesures pour proposer un accueil digne, seul à même de permettre le vivre-ensemble.
Abdessalam était étudiant en droit au Soudan. Son projet est de devenir avocat. Qui sait… Malgré la langue et considérant sa ténacité, il le sera peut-être.
Abdessalam voulait venir en France pour les valeurs qu’elle porte. Abdessalam sera peut-être un jour mon compatriote. En attendant, il est notre frère humain.