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29 avr. 2024

Big Pharma, leur avidite provoque nos penuries

Les pénuries de médicaments ont plus ou moins toujours existé, mais elles prennent un tournant critique, qui commence à avoir des conséquences notables sur les soins. Les causes sont multiples, mais la politique de délocalisation des industries pharmaceutiques, dans le but de chercher de la rentabilité, y est pour beaucoup. Faute de volonté politique, rien n'est fait pour résoudre ce problème, alors que de nombreuses propositions sont sur la table.

Situation

Les pénuries sont devenues omniprésentes depuis la crise sanitaire, avec un pic très important à l'hiver 2022-2023. Depuis, elles font malheureusement parti du quotidien et nous, patients, soignants, devons "vivre avec". Elles concernent désormais l'ensemble des classes de médicaments, que ce soit les antibiotiques, les traitements chroniques indispensables à certains malades, ou les médicaments du quotidien. L'année dernière, nous avons même vécu des tensions sur le médicament le plus "basique" et courant qu'il soit, le Paracétamol ! Les formes pédiatriques sont particulièrement touchées. Les pénuries peuvent être brèves (et imprévisibles...), sous forme de courtes tensions d'approvisionnement, ou être prolongées sous forme de ruptures complètes d'approvisionnement.


Les patients commencent à avoir conscience de la situation et ne sont plus surpris de parfois ne pas pouvoir accéder à leur traitement, ou de devoir faire plusieurs pharmacies pour obtenir leurs différents médicaments. Cela génère pour eux du stress et du désarroi, et peut créer des conflits avec les soignants. C'est une situation très compliquée pour eux de voir leur pharmacien dans l'incapacité de leur fournir leur traitement.

Dans certains cas, heureusement rares pour l'instant, le traitement doit être interrompu ou repoussé, ce qui est évidemment une perte de chance pour le patient. L'été dernier, il était impossible de se fournir en médicament pour les infiltrations. Des patients ont dû temporairement y renoncer et repousser des rendez-vous. Parfois, la seule pharmacie disposant du traitement se trouve à l'autre bout de la ville ou du département, et il faut alors se déplacer, quand on le peut, pour obtenir son traitement. Ce n'est pas toujours possible pour des personnes handicapées, âgées ou tout simplement non véhiculées. Cela crée une rupture d’égalité dans l’accès aux traitements, en fonction de la condition sociale et géographiques des patients.

Une perte de temps colossale pour les soignants

Certains médicaments sont fournis par "quota" par pharmacie, qui en reçoivent une quantité donnée par mois, quel que soit le nombre de patients de cette pharmacie qui ont besoin de ce médicament.

Quand le médicament est en rupture complète, il faut alors contacter le médecin pour trouver une alternative. Cela n'est pas sans conséquences. Ainsi, il arrive de devoir substituer des antibiotiques spécifiques avec des antibiotiques à large spectre, ce qui peut contribuer à augmenter la résistance des bactéries aux antibiotiques, ce qui est un problème individuel pour la personne concernée, et pour la santé publique de la population. Dans d'autres cas, le traitement de remplacement peut être moins efficace, moins adapté ou provoquer des effets secondaires supplémentaires.

Les ruptures de médicaments sont devenus une partie quotidienne et omniprésente du travail des pharmacies. Elles sont également chronophages pour les médecins. Les pharmaciens sont devenus des spécialistes de la gestion des pénuries de médicaments alors qu’ils devraient être les spécialistes du conseil aux patients. S'assurer d'avoir le stock suffisant, chercher des sources d'approvisionnement, anticiper et palier les ruptures prend de l'ordre d'une dizaine d’heure par semaine par pharmacie selon une étude de l'Union de syndicats de pharmaciens d'officine (USPO). C'est autant de temps qui n'est pas consacré aux patients !

Les pharmacies sont revenues à effectuer des préparations pour certains médicaments en rupture, sur quelques antibiotiques ou médicaments spécifiques. Mais ce n'est pas une solution sur le long terme. Les préparatoires des pharmacies ne peuvent pas fournir le volume d'une usine et assurer l'approvisionnement de la population...

Une faillite de l'industrie pharmaceutique mondiale

Ces pénuries de médicaments sont un marqueur très important de notre perte de souveraineté industrielle, avec une course aux prix les plus bas sans considération pour l'emploi ou la santé publique en France.

Aujourd’hui 60% des principes actifs, des molécules, proviennent de la Chine ou de l’Inde. Cette dépendance accroît les risques de pénuries et pénalise les patients français qui peuvent se retrouver privés de leur traitement.

Une industrie pharmaceutique est une entreprise capitaliste, et ainsi entièrement tournée vers le profit et la rentabilité pour ses actionnaires. Elle peut bénéficier du CICE (crédit impôt recherche compétitivité), comme Sanofi, qui a touché plus d'un milliard d’euros à ce titre depuis la création du dispositif. Ce qui n'empêche pas ce groupe de fermer ses centres de recherche en France (passés de 18 en 2009 à seulement 3 dorénavant), et d'avoir un de ses médicaments les plus vendus, le Doliprane en forme pédiatrique en rupture de stock à l'hiver 2022.

Les industries pharmaceutiques se détournent de la production des médicaments anciens, souvent classés parmi les médicaments à intérêts thérapeutiques majeurs, qui existent majoritairement sous forme de génériques, par manque de rentabilité. 70% des pénuries concernent ce type de médicament. Les médicaments récents, négociés à prix d'or avec la Sécurité Sociale, font eux l'objet d'investissement très important de la part des industriels.

Que faire ? Une politique ambitieuse est nécessaire !

Le gouvernement ne semble pour l'instant pas prendre la mesure de la situation et ne présente que des "mesurettes" qui ne pourront résoudre la situation...

Les entreprises pharmaceutiques sont inondées d’argent public sous diverses formes sans contrepartie. Leur modèle économique en France est basé sur les remboursements de la Sécurité Sociale, leurs revenus proviennent donc de l'argent public.

Une politique publique réellement ambitieuse pour garantir notre souveraineté sanitaire se doit d’imposer par exemple :

production française ou européenne des médicaments et des matières premières permettant leur fabrication

  • stocks de sécurité permettant de garantir l'approvisionnement de la population

  • obligation pour les fabricants de génériques de couvrir la liste des médicaments essentiels

  • licence d'office en cas de défaillance des industriels

  • conditionnement des aides financières aux laboratoires à des critères sociaux et environnementaux.

Grâce à ces mesures, nous pourrons revenir à une situation permettant de couvrir les besoins de la population française et nous desserrerons l’étau qui nous contraint actuellement.

La solution de la distribution des médicaments au comprimé ou à la plaquette est mise en avant par le gouvernement. Elle demanderait une réorganisation complète des pharmacies et serait extrêmement chronophage pour les pharmaciens. Dans le contexte de saturation du système de santé et de pénurie de professionnels, ce n'est pas une solution viable. En revanche, il est beaucoup plus pertinent de contraindre les industriels à fabriquer des boites contenant un nombre de comprimés cohérent avec les durées de traitement recommandés. Cela permettrait d'éviter une bonne partie du gaspillage.

Rendre public la production : construire un pôle public du médicament

On ne peut pas faire confiance à l'industrie pharmaceutique pour garantir d’elle-même une production en quantité suffisante. Il nous faut donc une intervention de la puissance publique.

Pour retrouver notre souveraineté sanitaire, il est aujourd’hui urgent de mettre en place un pôle public du médicament. Celui-ci pourrait être financé par la suppression de diverses aides actuellement versées aux industries pharmaceutiques, et qui ont fait preuve de leur inefficacité, comme le crédit impôt recherche.

En gérant la chaîne de production des médicaments de bout en bout, de la conception à la livraison, nous garantissons notre autonomie en produisant en France. Nous garantissons notre approvisionnement en constituant des stocks stratégiques de tous les médicaments essentiels pour pouvoir faire face à de futures crises sanitaires et aux ruptures des chaînes d’approvisionnement qu’elles entrainent.

Nous relocalisons également une très grande quantité d'emploi en France.

Nous pourrons produire l’ensemble des spécialités génériques sans aucun surcoût. L'argent dépensé par la sécurité sociale pour les médicaments revient dans les caisses de l'Etat, qui pourrait ainsi financer la recherche médicale.

Cette solution, qui fait sortir un secteur se comptant en milliards d'euros du marché (en 2022, le marché des médicaments hors hôpital représentait 25,7 milliards d'euros selon le LEEM, le lobby de l'industrie), permettra de changer le rapport de force avec Big Pharma. La santé privatisée, c'est plus cher, moins efficace et inégalitaire. Avec un pôle public du médicament, nous rendons son autonomie vis à vis du marché à notre système de soin !


Mathieu DECLERCQ

Pharmacien, militant pour l'accès aux soins et à la santé

Nantais depuis une dizaine d'année, Mathieu exerce son métier de pharmacien en quartier populaire. Militant pour l'accès aux soins et aux services publics, il est convaincu que la lutte pour défendre l’hôpital public et la qualité des soins est primordiale. Il est membre du « Comité nantais pour le droit à la santé et et à la protection sociale pour tous et toutes »


Sources :

Commission d'enquête sénatoriale sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/2022-2023-ce-penurie-de-medicaments.html

Enquête : Pénurie de médicaments : comment en est-on arrivé là ?

https://www.francetvinfo.fr/sante/medicament/enquete-penurie-de-medicaments-comment-en-est-on-arrive-la_6079782.html

Livret Santé de l'Avenir en Commun

https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/sante/

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

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