Surenchere des cameras de surveillance : a qui profite-t-elle ?
Madame la Maire de Nantes se félicite, le 25 avril 2024, de l’installation de 80 nouvelles caméras de surveillance qui viennent s’ajouter aux 250 déjà existantes.
Propagande versus données de la recherche
Contrairement aux préjugés que les déclarations de Johanna Rolland contribuent à alimenter, les scientifiques ne cessent de produire des enquêtes qui démontrent que la vidéosurveillance n’a jamais fait la preuve qu’elle empêchait ou réduisait la délinquance, hormis dans les lieux fermés (comme les parkings) ou la surveillance de bâtiments. Toutes les recherches l’attestent : sur la voie publique, rien ne remplace la présence humaine en matière de dissuasion et de résolution des enquêtes. Cette présence humaine concerne certes l’îlotage et la police de proximité mais aussi la présence d’éducateurs, d’associations de quartier, de services publics. Les liens sociaux distendus par les politiques d’austérité budgétaire dont sont d’abord victimes les populations précarisées des quartiers périphériques ne se remplacent pas par des drones, ni par des coups médiatiques tels que l’opération « Place nette XXL », ni par des caméras de surveillance.
Explosion du nombre de caméras en France et effondrement des élucidations
Les chiffres sont implacables : alors que le nombre de caméras de surveillance sur la voie publique explose, passant de de 63.000 en 2013 et avoisinant les 100.000 aujourd’hui sur le territoire français (sans compter celles dans les lieux publics, magasins…), les taux d’élucidation des crimes et délits s’effondrent [1]. Sur les 6 dernières années ce taux est passé de 81% à 69% (-12 points) pour les homicides, de 71% à 69% (-2 points) pour les coups et blessures volontaires et celui de résolution des agressions dans la rue, au travail ou à l’école, a perdu 9 points, passant de 63% à 54%.
En parallèle, alors que la masse salariale de la police n’a jamais été aussi importante, avec une augmentation de 21% sur 10 ans, la présence effective des policiers sur le terrain dans les services de sécurité publique et paix publique ont baissé de 10% en dix ans et la police judiciaire est sous l’eau.
Alors, puisque les caméras ne protègent pas la population, arrêtons de travestir la réalité en mentant ostensiblement aux nantais en parlant de vidéoprotection : les caméras sur la voie publique SURVEILLENT !
Un coût exorbitant pour une efficacité dérisoire
330 caméras d’ici 2024 à 30 000 euros par caméra, soit un joli budget avoisinant les 10 millions d’euros [2], auquel il faut ajouter le fonctionnement du service, soit 22,5 équivalents temps plein (3 millions d’euros pour la municipalité depuis 2018), ce qui avoisine une dépense de 700 000 euros par an, sans compter les coûts de maintenance qui ne sont jamais mentionnés.
Autrement dit, il s’agit de dépenser sans compter, du matériel et des emplois pour une efficacité dérisoire comme l’atteste la synthèse de l’enquête de la gendarmerie nationale dirigée par Guillaume Gormand [3]
Une course à l’échalote avec la droite nantaise qui alimente les fantasmes
Ces annonces ne font que renforcer le fantasme de l’insécurité nantaise véhiculée par la droite au détriment de la réalité. A la 49e place sur 368 villes de plus de 22 500 habitants de France métropolitaine [4], non, la ville de Nantes ne fait pas partie des villes françaises où règnent le plus l’insécurité. Non, la ville de Nantes n’est pas confrontée à une hausse de la délinquance, puisque les forces de police et de gendarmerie enregistrent une baisse de 12,6 % entre 2022 et 2023 [4].
Miser sur la surenchère sécuritaire pour faire la course à l’échalotte avec la droite et l’extrême droite dans la perspective des prochaines élections municipales est une double erreur politique : non seulement c’est mentir aux citoyens mais cela alimente également les préjugés qui nourrissent la bataille idéologique de la droite et de l’extrême droite pour qui aucun dispositif de surveillance de la population ne sera jamais suffisant. Cette stratégie électoraliste de courte vue est irresponsable et gare à l’effet boomerang lorsque la population constatera, avec désenchantement, la persistance des délits qu’aucune caméra n’a jamais réussi à empêcher.
A qui profitent réellement les cameras de surveillance ?
Que les Nantaises et les Nantais se posent la bonne question : à qui profitent réellement les caméras de surveillance ? Une chose est sûre : ce n’est pas à la population !
Alors que les services de sécurité de l’Etat se désinvestissent du champ de la tranquillité publique, faire une politique de gauche ne consiste pas à offrir sur un plateau les images de surveillance des citoyens. Faire une politique de gauche, ce n’est pas céder au lobby du juteux commerce des technologies de sécurité. Faire une politique de gauche ce n’est pas dilapider l’argent de la collectivité pour une technopolice onéreuse, inefficace et liberticide. Faire une politique de gauche, ce n’est pas traiter tous les citoyens comme suspects d’entrée de jeu.
Agir en responsable de gauche, ce n’est pas entretenir l’illusion du miracle des caméras. C’est facile, mais ce n’est ni sérieux ni honnête.
Marina FERRERUELA
Professeure Documentaliste et Militante Féministe
Marina Ferreruela, avec son parcours riche en engagements sociaux et pédagogiques, se dédie à la lutte contre les inégalités et à la promotion de l'éducation populaire. Son expérience en enseignement du FLE et son soutien aux mineurs isolés témoignent de son engagement pour l'inclusion et la justice sociale. Collaboratrice parlementaire et militante à La France Insoumise, elle met sa passion pour la philosophie et l'éducation au service d'un avenir plus juste et égalitaire.
[1] Sur les taux d’élucidation des crimes et délits :
[2] Sur le coût des caméras de surveillance à Nantes :
[3] Sur l’évaluation de la contribution de la vidéoprotection de voie publique à l’élucidation des enquêtes judiciaires :
[4] Chiffres officiels et statistiques de la délinquance à Nantes. Classement des villes de France :
Pour aller plus loin :
Synthèse de 44 études scientifiques internationales et nationales sur l’impact de la vidéosurveillance dans l’espace public :
Tanguy Le Goff, Vidéosurveillance et espaces publics - Etat des lieux des évaluations conduites en France et à l’étranger, Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU) d’Ile-de-France, Paris, octobre 2008.