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4 déc. 2024

Rideau pour la culture, la tragedie Morancais en trois actes

« On va mourir et même pas sur scène ». L’une des nombreuses punchlines brandies lors de la manifestation du 25 novembre devant l’Hôtel de Région à Nantes donne le ton. Ce matin-là, entre 4 000 et 5 000 personnes ont convergé vers la pointe est de l’île Beaulieu pour exprimer leur désarroi face à la Présidente de région, Christelle Morançais. Son projet ? Tailler dans les subventions à la culture à coups de hache, remettant en question ce qu’elle qualifie de « monopole intouchable ».

Dans un tweet posté le 12 novembre, Christelle Morançais a appelé les acteurs culturels à construire un nouveau modèle, moins « dépendant de l’argent public ». Une invitation qui sonne comme une provocation pour ceux qui voient leurs budgets réduits en miettes et leurs projets artistiques menacés. Récapitulons :

  • Acte I : le tweet-couperet. Le 12 novembre 2024, Christelle Morançais choisit la plume aiguisée d’un tweet pour annoncer son grand projet : tailler à vif dans les subventions régionales. Pas de dialogue, pas de réunions, pas même un mail groupé. Non, juste un sermon 2.0 pour fustiger les « gauchistes de la culture », trop habitués selon elle à leur perfusion d’argent public. Le chiffre tombe : une baisse de 73 % se profilerait pour le budget 2025 qui sera soumis au vote le 19 décembre prochain. Et pour certaines structures, ce sera 100 %. Plus de subventions. Zéro. Rideau.


  • Acte II, les dégâts collatéraux. Après avoir tranché dans les budgets culturels, la présidente convoque le 19 novembre 2024 les personnels de la Région (fonctionnaires et non titulaires). Au programme : une déclaration dramatique sur la "crise budgétaire" et l'annonce d'une autre hécatombe. Cette fois, 100 postes ne seront pas remplacés, soit 10 % des effectifs. Les victimes désignées ? Les politiques publiques liées à la culture, au sport, à l’égalité femme-homme, à la vie associative et même à la transition énergétique. Bref, tout ce qui ne rentre pas dans une logique comptable. En guise de réponse à chaud, son personnel lui tourne le dos. (1)


  • Acte III : jusqu’au fondement du social. Le dernier acte prend une tournure encore plus abject le 22 novembre 2024 : la coupe budgétaire atteindrait le Planning Familial. Fin des subventions dans tous les départements des Pays-de-la-Loire. Exit l’éducation sexuelle, la prévention des MST et l’accompagnement des femmes dans l’avortement. Trop éloigné du sacro-saint "un papa, une maman" cher à Christelle et ses alliés de la Manif pour tous ? Certainement. Mais là où ça devient ubuesque, c’est que le sabre frappe aussi les Missions Locales. Ces structures, qui accompagnent les jeunes vers l’emploi et la formation, se verraient privées de 3 millions d’euros dès 2025. Selon France Bleu Loire Océan (2), cela représente 63 équivalents temps plein, et autant de jeunes laissés dans l’ombre d’une Région qui se désengage pourtant d’une compétence obligatoire avec la formation professionnelle. Sans aucune concertation.


  • Rideau final : plus qu'un sabrage, une déclaration de guerre aux politiques publiques culturelles, sportives, associatives, de solidarité, pour l'égalité femme-homme, aux politiques de transition écologique.

Suicide politique ou coup de poker ? La strategie Morançais en question

Alors, pourquoi ce plongeon kamikaze signé Christelle Morançais ? Certes, la présidente de région, proche d’Édouard Philippe, semble jouer la carte de la surenchère budgétaire pour se faire remarquer. L’État lui demande 42 millions d’économies ? Elle en annonce 100, avec un appétit particulier pour la culture, l’écologie et le sport. Une manière subtile de poser sa candidature à un hypothétique futur gouvernement. Et on peut dire que sa stratégie fonctionne : les médias s’emballent, la polémique enfle, et son nom est désormais sur toutes les lèvres.

Mais visiblement, elle n’avait pas anticipé l’ampleur de la tempête. Ses seuls arguments face au tollé ? Crier à la "fake news" et dénoncer des "attaques personnelles" venues de La France insoumise. Quelles fake news ? Quelles attaques personnelles ? Rien de concret, juste du moulinage. S’acharner sur LFI est plus facile que de débattre sur le fond. Et encore, elle n’a pas dégainé la carte joker de l’antisémitisme – mais ça ne saurait tarder. Qu’elle trouve une seule déclaration des élus ou cadres LFI l’attaquant directement ou véhiculant de fausses informations, on attend.

La vérité, c’est que mettre l’accent sur LFI permet surtout à Christelle Morançais d’invisibiliser les acteurs de la culture, les intermittents et du monde associatif, premiers concernés et premiers mobilisés contre sa politique.

Sur l’annonce de ces coupes budgétaires, pour une experte en communication, Christelle Morançais a pourtant raté sa mise en scène. D’ordinaire si prompt à soigner son image à travers le magazine régional, véritable ode mensuelle à sa personne, elle commet ici une maladresse de forme : les structures apprennent leur exécution par SMS ou mail. Pour les plus "chanceux", un coup de fil d’Alexandre Thébaud, conseiller régional de sa majorité, vient leur annoncer que leurs subventions tomberont à 0 € dès janvier 2025. Salles, festivals, compagnies, éditeurs... tous découvrent la nouvelle en catimini, comme si on leur retirait le tapis sous les pieds dans une scène digne d’une série B.

Christelle Morançais voulait se faire remarquer ? C’est réussi. Mais à quel prix ?

Christelle Morançais ou l’art du sabordage culturel : qui paiera les pots casses ?

Derrière les grandes annonces budgétaires, ce sont les enfants qui trinqueront. Moins d’animations culturelles dans les écoles, moins d’animateurs sportifs, des adieux au festival de musique classique pour ne citer que ceux-ci. À la place ? Une visite au musée – si tant est qu’il reste encore des subventions en financements croisés. Comme le rappelle Aymeric Seassau, Adjoint à la culture à Nantes, ces coupes n’épargneront personne et surtout pas les enfants : "Le Festival du cinéma espagnol accueillait jusque là 10 000 scolaires dont 8000 lycéens. "

Mais l’impact ira bien au-delà des jeunes générations : une onde de choc qui frappera la ruralité aussi fort que les villes. Parce que la culture, ce n’est pas qu’en milieu urbain, au lieu unique ou au Grand Théâtre d’Angers. C’est dans les salles, sous les chapiteaux, dans les hôpitaux, les maisons de retraite, les musées, les maisons de quartier, les lieux de convivialité ou dans les rues. C’est un écosystème foisonnant, un moteur économique.

Pour 1 euro d’argent public investi dans la culture, ce sont 6 euros de retombées économiques. En Pays de la Loire, le spectacle vivant, c’est 17 000 emplois permanents, 1 400 structures employeuses, et 83 millions d’euros de masse salariale. Le secteur de la musique live, c’est 2 500 concerts par an, 2,4 millions d’entrées payantes, et 86,5 millions d’euros de billetterie. La culture est un vrai levier de croissance.

Ce que prône Christelle Morançais, c’est l’inculture, le repli sur soi, l’irresponsabilité déguisée en courage politique. Pourtant, ces coupes ne sont rien d’autres que des choix purement politiques, drapés dans une rhétorique héroïque. Elle joue les sauveuses d’une région en crise budgétaire, mais trouve pourtant des millions à offrir en cadeau bonus aux lycées privés : 234 millions d’euros, en plus du financement obligatoire (quand on vous dit que la bataille est idéologique).

Un principe simple, madame Morançais : l’argent public c'est pour l’école publique. Quand on trouve des millions pour tester l’uniforme à l’école, symbole rétrograde d’une discipline à l’ancienne, tout en sabrant 18 millions dans la culture, on ne parle plus de choix budgétaires. On parle d’une bataille purement idéologique. Et de choix politiques. Le message est clair : conformez-vous, rentrez dans le rang, mais surtout, ne réfléchissez pas trop. Parce qu’un esprit nourri par la culture pourrait poser des questions, et ça, visiblement, c’est insupportable.

Et la culture ? Eh bien, selon la majorité régionale, qu’elle apprenne à vivre sans subventions. Un ticket de piscine à 3 euros sans subventions, ça n'existe pas. Un spectacle de danse à 10 euros sans subventions, ça n'existe pas. Un billet pour l’opéra à 30 euros sans subventions, ça n'existe pas. Ce modèle redistributif français, si envié ailleurs, elle le torpille au profit d’une vision ultra-libérale : un milieu culturel privatisé, autofinancé, où seuls les spectacles rentables survivront.

Des places hors de prix, inaccessibles aux précaires, et des expérimentations artistiques enterrées faute de sponsors. Après tout, qui a besoin d’un projet audacieux ou subversif quand Coca-Cola pourrait financer une comédie musicale pour nous apprendre à sourire ?

Christelle Morançais ne sauve pas la culture, elle l’abandonne. Et dans sa chute, c’est tout un pan de notre société qu’elle entraîne avec elle.

Si l'on veut pousser l'ironie, on pourrait rappeler à cette fidèle d’Édouard Philippe que Le Havre a su se relever grâce à la culture. Encore faudrait-il qu'elle ait suffisamment de hauteur de vue pour le comprendre.

En attendant, la mobilisation continue !

Restons déterminés jusqu'au 19 décembre 2024, date à laquelle la soumission du vote de ce budget sera présentée au Conseil Régional des Pays-de-la-Loire.

Christelle Morançais affirme, dans le JDD, qu’elle choisit de réduire les dépenses au détriment de nos enfants et de leur avenir. Certes, le débat sur la réduction des dépenses publiques mérite d’être mené, mais il est crucial de souligner que ces décisions sont avant tout idéologiques. Elle sait parfaitement ce qu’elle fait.

Alors, réaffirmons le : la culture n'est pas un luxe, elle est essentielle. Assister à un concert à l'ONPL, feuilleter la revue 303, savourer une soirée danse à Trajectoires, aller voir un match au SNVBA (le club de volley masculin de Saint-Nazaire), passer la soirée au Grand-Théâtre, danser au Dub Camp, ce sont ces moments qui nous unissent, qui créent des liens humains et des sociabilités cruciales pour le bon fonctionnement de notre démocratie.

La culture est un souffle vital qui traverse notre société. C'est ce qui nous donne force et sens, ce qui nous relie les uns aux autres, ce qui permet notre émancipation. Le nivellement de la culture par le bas ou l’absence totale de culture est ce que l’on peut faire de pire dans nos politiques publiques. C'est justement parce que la culture est déjà trop sacrifiée sur l'autel des seuls savoirs qu'il faut lui donner toute sa place. Ne la dénigrons pas la culture, embrassons-la !

Le plus grand plan social de France ne passera pas en Pays-de-la-Loire. Spectateurs, parents, enfants, artistes : tous se mobilisent. Des Assemblées Générales ont lieu chaque semaine dans les cinq départements de la région. La lutte s’organise et les acteurs du monde culturel et associatif sont pleinement engagés pour défendre au quotidien leurs secteurs, essentiels à nos vies.

Les prochains rendez-vous sont à suivre sur les pages Instagram (3) et Facebook (4) de "Culture en lutte Pays de la Loire". Une pétition (5) lancée par les acteurs de la culture a déjà recueilli près de 100 000 signatures.

Rejoignez les appels intersyndicaux pour la mobilisation de la fonction publique le jeudi 5 décembre 2024 :

🔥 Nantes - Préfecture - 10h30

🔥 St-Nazaire - Hôpital - 11h00

🔥 Le Mans - Place du Jet d'eau - 13h30

🔥 Chateaubriant - Théâtre de verre - 11h00

🔥 Clisson - Parvis de la Gare - 15h00

Faisons entendre notre voix à la majorité régionale et poussons-la à revenir sur ces coupes budgétaires insensées.

« Et que le spectacle reste vivant ! »

Pauline DEBRAY

Militante pour l'Accès Universel aux Services Publics et Culture Numérique

Pauline Debray, née à Issé et passionnée par les enjeux d'accès aux services publics, a consacré sa carrière à la fonction publique territoriale, enrichissant son expertise en culture numérique et social media. Convaincue de l'importance de l'alliance des territoires et militante à La France Insoumise, elle œuvre pour une société plus équitable et connectée. Son engagement culturel à Stereolux et son travail en communication pour La France Insoumise en Loire-Atlantique témoignent de sa volonté d'émancipation par la culture et d'un monde plus juste.

(1) - Publication Twitter, photo de l’annonce du 19 novembre 2024 : https://x.com/antonytorzec/status/1858929629433610377

(2) - Article France bleu Loire Océan du 28 novembre 2024 : https://www.francebleu.fr/infos/societe/que-vont-devenir-ces-jeunes-en-loire-atlantique-les-missions-locales-inquietes-des-coupes-budgetaires-regionales-9301338

(3) - Instagram, page du collectif Culture en Lutte : https://www.instagram.com/cultureenlutte.paysdelaloire/

(4) - Facebook, page du collectif Culture en Lutte : https://www.facebook.com/cultureenlutte.paysdelaloire

(5) - Pétition Pays de la Loire, plus de 1000 artistes et professionnels de la culture se mobilisent : https://www.change.org/p/pays-de-la-loire-plus-de-1000-artistes-et-professionnels-de-la-culture-se-mobilisent

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