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17 mai 2024

Protegeons nos captages d’eau : Le recit d’une lutte a Masserac

Depuis plus de 25 ans des associations militent pour la protection des marais de Massérac (44) et des marais de La Chapelle de Brain (35) situés de chaque côté de la Vilaines dans le Pays de Redon. Sur le marais de Massérac se trouvent les captages qui alimentent en EDCH (Eau Destinée à la Consommation Humaine) 8 communes du Nord 44 (environ 20 000 habitants).

En 2016, les analyses montrent la présence d'un pesticide, le ESA-Métolachlore largement au dessus des seuils réglementairement admis. Un collectif d'habitants est créé en 2016, puis une association en 2017 : le CSP, Collectif Sans Pesticides. Le CSP compte aujourd’hui entre une soixantaine d’adhérents, tous habitants des communes concernées par la distribution de l’eau des captages de Massérac.

Nous présentons ici, dans le détail, l’historique de la lutte menée par le CSP pour garantir le respect de la réglementation par la société publique de gestion des eaux, Atlantic’eau, et les propositions de solutions faites par le CSP afin que les habitants aient enfin accès à une eau non contaminée

Des pesticides en nombre croissant années après années

Entre 2016 et 2020, alors que le seuil réglementaire à ne pas dépasser pour l'ensemble des molécules est de 0,5 µg/L, on retrouve régulièrement dans l'eau du robinet des taux dépassant les 0,8 µg/L (1). Pour l'ESA-métolachlore c'est le dépassement permanent avec des valeurs frôlant les 0,5 µg/L au lieu des 0,1 µg/L réglementaires.

En 2018, suite à la pression du CSP, l’un des deux captages est abandonné, car trop pollué par les pesticides. Se pose alors un problème de quantité d'eau qui est momentanément résolu par le raccordement de certaines communes au réseau d'eau de Redon (35). Le CSP demande instamment des explications au distributeur d'eau public, Atlantic'eau, l'organisme public responsable de la distribution de l'eau dans les zones rurales de Loire-Atlantique, sur le fait qu'il puisse continuer à distribuer l'eau sans prendre de mesures adaptées. Il faudra attendre 2020, soit 5 ans pour qu'une demande de dérogation soit déposée par Atlantic'eau.

Depuis, un autre produit dépassant les seuils a été trouvé, il s'agit du R471811, un métabolite du chlorothalonil formellement classé cancérogène possible dont l'utilisation est interdite en Europe depuis 2020. A cause de cette pollution au Chlorothalonil, sur l'unité provisoire de traitement au charbon actif de Massérac, au lieu d’attendre 9 mois pour changer les charbons actifs, le changement doit se faire au bout de 6 mois, sans certitude de supprimer l'ensemble des métabolites. Ça représente un coût variant de 120 000 à 160 000 € en fonction des cours (source Mikael Derangeon vice-président d'Atlantic'eau).

Une dérogation pour distribuer de l'eau à des seuils 4 à 5 fois supérieurs à la réglementation

11 mai 2020 : Un arrêté préfectoral est signé (2) « portant dérogation aux limites de qualité des eaux destinées à la consommation humaine pour le paramètre pesticides ESA-métolachlore pour le territoire de la région de Guémené-Penfao ». Cette dérogation doit permettre à Atlantic'eau de distribuer l'eau des captages de Massérac pendant 3 ans avec des seuils de qualité largement supérieurs à ceux réglementairement admis partout ailleurs.

Le CSP engage un recours contre cet arrêté, considérant inacceptable l'augmentation des seuils de qualité et que les mesures du plan d'action soient supportées financièrement par les seuls consommateurs. Le CSP propose depuis longtemps d'autres solutions telles que l'interdiction des pesticides sur l'ensemble du bassin d'alimentation des captages.

L’arrêté du 11 mai 2020 précise qu’Atlantic’eau s’engage à indemniser les agriculteurs dans le cas d’une interdiction d’usage des pesticides à l’intérieur des périmètres de protection qui seront retenus par l’hydrogéologue agréé. La demande de révision de l’arrêté du 23 février 2000 de Déclaration d'Utilité Publique du captage de Massérac devra être déposée avant la fin 2020. Quatre ans plus tard, rien ! Toujours pas de révision de la DUP (Déclaration d'Utilité Publique) du PPC (Plan de Protection des Captages) !

La FNSEA à la manœuvre, les services de l’État et l'ARS complices

Le 15 décembre 2022, une réunion se tient à Redon. Ce jour là, se trouvent autour de la table, les sous-préfets de Redon (35) et Chateaubriant (44), les DDTM (services du département) 35 et 44, les ARS (Agence Régionale de Santé) 35 et 44, les chambres d'agricultures 35 et 44 et enfin le distributeur d'eau Atlantic'eau. Cette réunion doit permettre de trouver un accord entre les différentes parties sur le contenu de la DUP, en particulier sur les indemnisations proposées aux exploitants agricoles en échange de la non-utilisation des pesticides sur l'aire d'alimentation.

Au cours de cette réunion, les élus d'Atlantic'eau se font insulter gravement par les représentants des chambres d'agriculture, en particulier par président de la chambre d'agriculture 44 (FNSEA). Les représentants de l'Etat présents ce jour là, ne bronchent pas et n'interviennent pas. Cette information sera donnée à des militants du CSP (Collectif Sans Pesticides) le soir même par un élu d'atlantic'eau et confirmée depuis par d'autres élus.

Cette réaction des Chambres d’Agricultures, refusant même de discuter rationnellement d’une solution d’indemnisation qui serait pourtant au bénéfice des agriculteurs, pour empêcher toute limitation d’usage des pesticides montre l’influence qu’à la FNSEA sur ces institutions. Il s’agit avant tout pour eux de ne rien lâcher sur leur vision idéologique d’un modèle agricole productiviste sans norme et sans contrainte, qu’importe les impacts environnementaux et sur la santé des habitants.

2024, toujours pas de périmètres de protection autour des captages

Le 17 janvier 2024, le CSP est reçu à Massérac par Atlantic'eau. Atlantic'Eau, nous annonce la signature d'un arrêté de déclaration d'utilité publique de PPC pour le deuxième semestre 2024. Selon le calendrier annoncé ce jour là, l'enquête publique doit être réalisée au premier trimestre 2024. Atlantic'eau nous annonce également la tenue d'une réunion publique pour présenter à la population le futur PPC.

Depuis ce jour, nous n'avons plus reçu de nouvelles malgré nos demandes réitérées sur le calendrier et nos demandes d'informations complémentaires sur les 3 millions d'euros d'indemnisation pour quelques centaines d'hectares, promis aux propriétaires et exploitants des terres concernées par le périmètre de protection. Le dossier présenté par Atlantic'eau au CSP présentait des avancées certaines en terme de protection contre les pollutions aux pesticides. Tout n'était pourtant pas satisfaisant et l'association a fait des propositions pour une prise en compte de l'ensemble de l'aire d'alimentation plutôt que d'une zone réduite d'au moins un tiers.

13 février 2024, le recours du CSP (3) contre l'arrêté de dérogation a été audiencée au Tribunal Administratif de Nantes une première fois. Le rendu du tribunal était fixé au 12 mars dernier. Depuis le CSP a appris par son avocate que le juge avait demandé un complément d'information à Atlantic'eau, le distributeur, avant de pouvoir se prononcer. Une nouvelle audience s'est donc tenue le mardi 16 avril 2024 au tribunal administratif de Nantes. Au cours de cette audience, Me Hermine Baron a défendu la demande d'annulation de l'arrêté préfectorale dérogatoire en mettant en avant l’inefficacité des mesures proposées par le préfet (un pansement sur une artère fémorale coupée selon ses propos imagés), la carence de l'Etat à user de ses pouvoirs de police administrative et l'élargissement de la liste des pesticides recherchés

Des périmètres de protections au bon vouloir des chambres d'agriculture FNSEA

Le jeudi 4 avril, nous avons appris, par des indiscrétions, que les préfectures 44 et 35 « auraient » demandé à Atlantic'eau de reporter au dépôt du dossier d’enquête publique pour attendre qu’un accord soit trouvé sur les indemnisations avec chacune des exploitations agricoles concernées. Selon un élu d'Atlantic'eau cela peut vouloir dire le report à 6 mois, un an, voire à jamais.

Il semble que les préfets jouent maintenant l'évitement, le fait de ne pas déposer de DUP permet de continuer à distribuer de l'eau sans périmètre de protection, donc quasiment sans contraintes pour les agriculteurs qui utilisent des pesticides sur cette zone. Les seules contraintes restant celles du PPC vieux de 25 ans qui a montré sa totale inefficacité. Il n'y a dans ces conditions, plus de risques de recours déposés par une commune ou par une association telle que le CSP.

Ce qui est remarquable c'est la position contradictoire des préfectures 35 et 44, qui enjoignent le distributeur d'eau, à déposer une DUP pour un nouveau Périmètre de Protection des captages, mais qui en même temps font tout ce qu'elles peuvent pour l'en empêcher.

La seule considération, pour les services de l'Etat, reste le bon vouloir des chambres d'agriculture, de la FNSEA et des quelques agriculteurs qui, nous le redisons, sont co-responsables de la pollution par les pesticides de nos captages. Le coût élevé à l'hectare des indemnisations, supporté par les consommateurs, est également un moyen pour empêcher que les périmètres de captages soient plus vastes et plus protecteurs.

La stratégie des industriels : faire durer les molécules puis les remplacer

Pour les industriels la solution est de faire durer les molécules les plus utilisées et les plus rentables, puis quand la pollution par ces molécules est, après des années, avérée comme un problème de santé publique, de les remplacer par de nouvelles molécules qui finiront à leur tour par se retrouver dans les nappes. L'interdiction de tel ou tel pesticide spécifique, suite souvent à de longues batailles, ne peut pas être la solution. C'est l'ensemble des traitements chimiques qui doit être remis en cause.

De même, les utilisateurs ont trouvé leur modèle de défense. L'argument type des états-majors de la FNSEA c'est de mettre en avant les progrès faits par l'agriculture et de continuer à « défendre des chefs d'entreprises qui utilisent des produits de santé des plantes de manière raisonnée » comme le dit si bien le responsable environnement de la FDSEA 35.

Ces mêmes utilisateurs peuvent ensuite se dédouaner de n'avoir jamais utilisé telle ou telle molécule retrouvée aujourd'hui dans l'eau des captages. L'utilisateur d'aujourd'hui n'est pas responsable de l'atrazine que l'on retrouve toujours 25 ans après son interdiction, comme celui de demain ne sera pas responsable des molécules et des métabolites du S. Métolachlore interdit à la vente depuis le 20 octobre 2023 et qui sera interdit d'utilisation le 20 octobre 2024. Pour la FNSEA, il est inacceptable de perdre la moindre parcelle de territoire qui puisse devenir réglementairement zones sans pesticides.

Des solutions existent

D'autres solutions existent, la plus évidente est de sanctuariser, dans un premier temps, sans pesticides l'ensemble du bassin d'alimentation des captages. En France, les bassins d’alimentation des captages d’eau ne représentent que 3% des Surfaces Agricoles Utiles (SAU). Cela pourrait être le début d'une reconquête de la qualité des eaux de consommation humaine mais aussi de la biodiversité, avec un impact négligeable ou en tout cas tout à fait gérable sur les surfaces agricoles Françaises

Il est par ailleurs inacceptable que les agriculteurs responsables de la pollution soient indemnisés à des taux dépassant toute mesure. Il serait plus juste de dépenser ces sommes à la conversion à l'agriculture bio de l'ensemble des exploitations concernées par les périmètres de protection, ce qui serait à la fois bénéfique pour les habitants et pour les agriculteurs locaux eux-mêmes. Ces SAU, comme l'ensemble des surfaces agricoles de production bio ne devraient par la suite plus pouvoir revenir en système dit « conventionnel ».

Nous devons libérer nos agriculteurs de l’emprise de la FNSEA qui les maintient dans l’addiction aux pesticides, afin de construire avec eux une agriculture propre, meilleure pour eux, meilleure pour notre eau, meilleure pour tous !


Laurent DAVID

Habitant de Guémené-Penfao, membre de la direction collégiale du Collectif Sans Pesticides


(1) Chiffres recensés par le CSP depuis le site sante.gouv.fr publiant les résultats du contrôle sanitaire de la qualité de l’eau potable en ligne, commune par commune : https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/eaux/eau

(2) Arrêté du 11 mai 2020 de la Préfecture de Loire-Atlantique portant dérogation aux limites de qualité des eaux destinées à la consommation humaine pour le territoire de la région de Guémené-Penfao : http://www.mairie-guemene-penfao.fr/medias/2020/05/2020-05-11_AP_Derogation-qualite-eau-Guemene.pdf

(3) Recours du Collectif Sans Pesticides du 7 juillet 2020 contre l’arrêté du 11 mai 2020 https://nousvoulonsdescoquelicots.org/wp-content/uploads/2020/07/redon-recours-gracc82cieux-csp.pdf

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

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