Paris sportifs : la taxe populaire
Alors que les Jeux Olympiques se profilent cet été, nombreux sont celles et ceux qui les attendent avec anxiété. Entre les problèmes d’organisation, l’augmentation complètement folle des loyers dans les régions où les épreuves auront lieu, le prix des places plus que prohibitif, et tant d’autres joyeusetés, bien peu sont celles et ceux qui semblent heureux de voir cet évènement planétaire envahir notre contrée.
Mais certains s’en réjouissent d’avance, et pas pour de nobles rêves : les opérateurs de paris sportifs ! Les Jeux Olympiques vont leur permettre de combler ce vide abyssal d’évènements sportifs de fin juillet - début août, et vont permettre une continuité de l’offre de paris, et de leur chiffre d'affaires, entre la fin de l’Euro de football et le début des saisons sportives. Une année record pour eux se dessine !
Et peu de monde semble s’émouvoir, comme si c’était parfaitement naturel. Pourtant c’est un fait plutôt étrange, qui veut que plus dure est la crise, plus grosse est l’augmentation des mises, que ce soit sur les paris sportifs ou sur les autres jeux d’argent ! Et même si le nombre de parieurs sportifs diminue (que ce soit en ligne en ou en physique), les mises sont de plus en plus importantes…
L’inquiétude montante pour la santé publique
Regardons ce que nous en dit le rapport [1] pour 2023 de l’ANJ (Autorité Nationale des Jeux), qui est sans doute l’une des seules choses un peu utiles que produit cette autorité (mais cela reste un autre chapitre que je vous raconterai peut-être une autre fois)…
“Après une année 2022 atone, le marché en ligne retrouve en 2023 les niveaux de croissance particulièrement dynamiques observés depuis 2017 avec une progression de son PBJ de 7.2% à 2.3Md€. Le nombre de joueurs uniques atteint 3.6 millions, en augmentation sur tous les segments sauf le pari sportif (…) 17% des 18-24 ans et 15% des 25-34 ans sont joueurs en ligne (…) le pari sportif affiche une solide croissance de son PBJ de 6.4% en 2023 à 1477M€”
Donc le CA augmente, le nombre de parieurs diminue, les joueurs se rajeunissent, et tout cela en 2023 sans évènement sportif majeur !
Cela devrait nous inquiéter, au vu de la dangerosité de la pratique des paris sportifs et jeux d’argent. Car bien qu’ils puissent paraître anodins de prime abord, ils créent dans le cerveau les mêmes circuits d’addiction profonde que la cigarette, l’alcool ou les drogues ! Et énormément de vie ont été ruinées suite à l’addiction aux paris sportifs…
L’association Addictions France [2] nous alerte :
2/3 des mises proviennent de joueurs en situation de précarité
6% des joueurs souffrent d’un risque d’addiction (1 million d’individus)
3/4 des parieurs ont moins de 34 ans
33% des joueurs ont augmenté leurs sommes misées depuis le début de la crise sanitaire
Les jeunes ont 6 fois plus de chance de développer une addiction aux jeux d’argent
Le rôle pernicieux du matraquage publicitaire
Mais comment les opérateurs de paris sportifs réussissent à attirer les jeunes en situation de précarité ? Et bien tout simplement par la plus efficace méthode qui soit : la publicité à outrance !
C’est bien simple, les publicités pour les opérateurs de paris sportifs sont partout : télé, radio, presse, youtube, etc… Et elles martèlent un marketing plus qu’agressif envers sa cible privilégiée : le jeune urbain de quartier populaire… À coups de sponsoring de chaînes YouTube spécialisées dans le sport, et notamment le football; à coup de pubs omniprésentes pendant les évènements sportifs; à coups de présence comme sponsor sur les maillots des clubs; à coups de campagnes d’affichages publiques promettant le rêve (“Mettre la daronne à l’abri”); à coups d’argent offert à l’inscription... En bref, les opérateurs de paris sportifs ont réussi à se glisser partout, dans tous les interstices que la loi lui permet.
Enfin plutôt que d’interstices il s’agit de trous béants !
L’urgence d’une VRAIE régulation
Là encore, l’association Addictions France [2] nous avertit, et plaide pour une loi type loi Evin sur les paris sportifs, avec comme mesures phares :
L’interdiction des publicités dans les médias que les mineurs sont amenés à consommer régulièrement (télévision, radio, réseaux sociaux)
L’interdiction d’affichage autour des écoles, universités et infrastructures sportives
Encadrer strictement les offres promotionnelles
Définir le contenu des publicités et supprimer les messages purement subjectifs (liés au plaisir de jouer, à la fête, …)
Des parlementaires LFI-NUPES se sont saisis de ce sujet en 2023, mais leur proposition de loi n’a pas abouti… Je vous invite à aller la lire, c’est court, clair et concis.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0708_proposition-loi
Cette proposition de loi préconisait d’interdire tout simplement la publicité pour les opérateurs de paris sportifs en ligne. Mais bien d’autres pistes en plus peuvent être explorées :
Obligation d’identification avant la prise de pari dans les points de ventes FDJ et PMU (cela a été fait en Suède avec une baisse de CA de 30%)
Hausse de la taxation sur le Taux de Retour au Joueur (qui est à 85% sur l’année actuellement), de façon à décourager le jeu
Une autorité de régulation réellement indépendante avec plus de moyens de contrôle
Revenir sur la privatisation de la FDJ
Le gouvernement actuel préfère détourner les yeux de ce problème majeur pour la santé et la vie de nombreuses personnes et se placer du côté du business dans un laissez-faire ultra-libéral… Mais est-ce vraiment étonnant sous Macron ?
Le pire reste à venir ?
Las, de nouveaux problèmes se dessinent à l’horizon, puisque de nouveaux types de jeux d’argent masqués prennent de l’ampleur auprès des jeunes, voire des très jeunes, par le biais des jeux vidéos et des JONUM (Jeux à Objets Numériques échangeables).
Késako ? Tout simplement l’achat d’un objet numérique (carte, “skin”, ou autre) via une monnaie créée pour un jeu ou une crypto monnaie, ce qui permet de contourner la législation sur les jeux d’argent et laisse une porte ouverte au grand dépouillement des addicts !
“Le gouvernement semble vouloir libéraliser encore plus ce marché en autorisant les JONUM (…) à développer une offre de jeux d’argent et de hasard totalement dérogatoire du droit commun. Un amendement au projet de loi « sécuriser et réguler l’espace numérique » autoriserait ces JONUM à offrir des récompenses non seulement en NFT (…) mais également en cryptomonnaie. Rien ne distinguerait plus alors les JONUM de jeux d’argent et de hasard en ligne, sinon l’absence dérogatoire de toute régulation. Si le texte devait être adopté en l’état, il s’agirait de fait d’une libéralisation totale du marché des jeux d’argent”
Malgré les alertes des associations, dont Fédération Addiction [3], cette loi est passée, ouvrant ainsi un peu plus la possibilité de l’exploitation totale de ce beau filon qu’est la jeunesse précaire…
Encore une fois le gouvernement Macron se montre cruel avec les plus faibles et servile avec les plus forts. La peau sur les os sera bientôt de trop !
Olivier LEJEMBLE
[1] Autorité Nationale des Jeux, analyse annuelle du marché des jeux d’argent et de hasard en France 2023 : https://anj.fr/sites/default/files/2024-04/2023_Rapport_Economique.pdf
[2] Association Addictions France, tribune pour une loi Evin des jeux d’argent : https://addictions-france.org/presse/publicites-pour-les-paris-sportifs-une-reglementation-efficace-simpose-pour-lutter-contre-les-addictions/
[3] Fédération Addiction, rapport sur le “Projet de loi numérique” : https://www.federationaddiction.fr/actualites/projet-de-loi-numerique-jeux-dargent-jonum-et-cryptomonnaies-un-melange-addictif-et-explosif/