Le Voyage en hiver, symbole d’une defaite de la gauche ?
Les décorations de Noël installées à Nantes cet hiver ont donné des sueurs froides à la droite nantaise. Le “Voyage en hiver” qui revisite les fêtes avec des artistes contemporains leur a apporté un joli buzz sur un plateau d’argent. Laurence Garnier, la chef de file des Républicains, accompagnée de son ambitieux acolyte Foulques Chombart de Lauwe se sont posés en gardiens du temple des traditions de Noël, supposées en péril. Avec comme témoins et facilitateurs, Cyril Hanouna et Pascal Praud (sic). Leur cri de protestation ? Des décorations jugées wokistes (re sic). Il faut bien dire que la dominante bleue et rose des lumières du “Voyage à Nantes” sur les façades des immeubles étaient bien trop timorée pour les partisans du slogan “un papa, une maman”. 😏
Des visiteurs circonspects se sont alors légitimement pose la question : mais pourquoi ces décorations qui n’ont rien a voir avec Noël ?
Vouloir réinventer le modèle des animations aux moments des fêtes de fin d’année est fidèle au pas de côté que chérit annuellement “Le Voyage à Nantes” pour le compte de la municipalité. Pour autant, la déception des visiteurs quant à l’absence de scintillements, de ciels de lumière et autres sapins de Noël enguirlandés dans les rues nantaises est bien réelle.
Les animations disruptives du “Voyage en Hiver” se sont heurtées à la réalité quotidienne des habitants. Les fêtes de fin d’année, tout comme les vacances d’été constituent un sas de respiration dans nos vies en tunnels où l’on passe la majorité du temps à travailler et gérer un quotidien parfois pas si simple. Sortir du tunnel, souffler le temps des vacances, ça passe aussi par un joli sapin de Noël sur une place, ça passe aussi par une patinoire en plein air pour que les enfants expérimentent la glisse sans leur payer des vacances au ski, ça passe aussi par des rues qui scintillent pour émerveiller facilement (et gratuitement) les plus petits.
Les fêtes populaires, c’est avant tout l’histoire de ceux qui subissent l’appauvrissement de leur vie quotidienne, le départ des services publics, la difficulté a se déplacer.
Conserver ce souffle de respiration dans nos vies, au cœur de nos rues, de nos villes, est salutaire pour les habitants. Des fêtes foraines aux animations de Noël. Mais Noël est aussi, comme toutes les fêtes familiales et populaires, une fête très marketing avec une surconsommation impressionnante. Une étude nous apprend que les classes les plus populaires sont aussi celles qui dépensent beaucoup à Noël. Faire plaisir aux enfants sur ces périodes de fêtes, se saigner pour leur offrir des vacances de qualité, quitte à se serrer la ceinture jusqu’à l’été, est une réalité. Le fait de ne pas pouvoir offrir de cadeaux de Noël à ses enfants, c'est un renoncement ultime pour les parents et un vrai marqueur de précarité. Certains parents préfèrent renoncer à des dépenses plus essentielles pour le quotidien (électricité, chauffage) pour ne pas sacrifier la totalité de leur budget aux achats de Noël. L’ignorer est confortable, le balayer d’un revers de main, est méprisant.
Alors oui, une patinoire de plein air en plein hiver, c’est pas très écolo.
Un “sapin mort” sur nos places, c’est dépasse. Des guirlandes de Noël dans les rues, c’est “ok boomer”. Des barbecues et des flonflons, c’est “viriliste”.
Mais à quel moment les individus doivent-ils pâtir d’une culpabilisation de leur quotidien quand les pouvoirs publics ne daignent pas mettre en place des politiques publiques nationales fortes et planifiées pour la préservation du vivant ? Il nous faut réarmer (pour reprendre la sémantique guerrière macroniste) la santé, l’éducation, le rail, l’énergie et l’alimentation avant d’imposer le "Je baisse, j'éteins, je décale" culpabilisant du gouvernement. La pollution, c’est ta faute. Faire reposer le prix de l’extinction de la biodiversité sur les individus est une défaite de l’action politique. L’individualisme écologique des colibris à la Pierre Rabhi a contribué à dépolitiser la pensée et à normaliser l’inertie de nos gouvernants.
Le “Voyage en Hiver” symbolise peut-être cette scission politique entre droite et gauche
En tout cas, elle a révélé très fortement un clivage entre les garants d’un Noël traditionnel et joyeux plutôt porté par la droite et la volonté de pas de côté d’un snobisme culturel inconscient soutenu par la gauche.
A l’image de la guerre de communication sur ces animations de Noël entre des villes classées à droite comme La Baule ou Châteaubriant. Les maires Franck Louvrier et Alain Hunault se sont gargarisés d’offrir à leur population la magie de Noël, quand la gauche des grandes métropoles rejetterait ces cultures populaires jugées beaufisantes. Comme une métaphore de l’abandon des classes populaires. Ces scissions beaucoup trop marquées pour être sincères affaiblissent un peu plus le logiciel de pensée à gauche. Le buzz organisé par Laurence Garnier et ses amis médiatiques peut paraître inopportun, il soulève néanmoins des questions intéressantes sur notre rapport à la culture populaire. Comment faire des animations à Nantes sans exclure la culture populaire ? Comment revoir le modèle de la culture, en passant d’un avant-gardisme assumé à un vaste public ?
A noter : le “Voyage en Hiver” a coûté 1.140.000 euros d’investissement à Nantes Métropole sur cinq ans, budget auquel il faut ajouter une dépense de fonctionnement de 600.000 euros. La question légitime de la réorientation du budget pour le prochain hiver se pose désormais.
Pauline DEBRAY
Militante pour l'Accès Universel aux Services Publics et Culture Numérique
Pauline Debray, née à Issé et passionnée par les enjeux d'accès aux services publics, a consacré sa carrière à la fonction publique territoriale, enrichissant son expertise en culture numérique et social media. Convaincue de l'importance de l'alliance des territoires et militante à La France Insoumise, elle œuvre pour une société plus équitable et connectée. Son engagement culturel à Stereolux et son travail en communication pour La France Insoumise en Loire-Atlantique témoignent de sa volonté d'émancipation par la culture et d'un monde plus juste.