Faire de l’Hotel-Dieu, un bien commun du XXIe siecle : Vers un Quartier de Services Publics et de Soins
Au cœur de Nantes, sur les bords de la Loire, notre fleuve ressource, l’Hôtel-Dieu se dresse comme un témoin massif et silencieux de notre histoire collective. En traversant les ponts, nombreux sont ceux qui se demandent : que vont devenir ces immenses bâtiments ? Symbole d’une époque où la santé était un droit fondamental, ce lieu emblématique est aujourd’hui à un carrefour décisif. Alors que son avenir se dessine dans une concertation dont la méthode questionne, nous avons une opportunité unique de repenser ce site pour répondre aux besoins urgents du peuple de Nantes. (0)
Un projet à la croisée des chemins
Le projet à réaliser sur le site de l’Hôtel-Dieu n’est pas simplement une question d’urbanisme ; c’est une réflexion profonde sur le modèle de ville que nous souhaitons, une ville dont nous héritons et que nous devons façonner pour les générations futures. Face aux défis sociaux, environnementaux et économiques qui se profilent, il est impératif de concevoir ce lieu pour qu’il traverse le temps avec et pour la société qui l’habite, en devenant un projet urbain pionnier, revendiquant fièrement son caractère social.
Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un parc nourricier en plein cœur de ville, alors que nos campagnes—comme l’extension de la zone d’activité à Carquefou le montre (1) — sont de plus en plus artificialisées aux limites de notre métropole. Non, ce qu’il nous faut ici et maintenant, c’est un lieu où les familles trouvent un toit, où les jeunes peuvent s’installer, où les liens sociaux se tissent, où le végétal participe au bien-être et où l’engagement citoyen se renforce. Dans une métropole où 38 000 demandes de logements sociaux sont en attente (2), transformer l’Hôtel-Dieu en un espace résidentiel mixte et accessible est une nécessité impérieuse.
Nous aimons à imaginer ce quartier comme un véritable pôle de services publics, qui perpétue sa fonction première de soin tout en relevant deux défis majeurs du siècle à venir : la solidarité et la durabilité, au cœur des flux du quotidien de la métropole nantaise.
Un quartier de services publics et de soins
Le transfert du CHU vers l’île de Nantes a entraîné une diminution du nombre de lits et de personnels soignants, orientant le projet de soin vers le tout ambulatoire. Les conséquences pour les patients, notamment ceux venant de l’extérieur de l’agglomération, sont préoccupantes et complexifient l’accès aux soins.
Il est essentiel de maintenir une offre de soins sur le site de l’Hôtel-Dieu, respectant ainsi sa vocation originelle. Dans le contexte de grave crise du secteur de la santé—déserts médicaux, crise du secteur de la psychiatrie, saturation des hôpitaux et des urgences—faire de ce futur quartier un véritable pôle de santé et de services publics de proximité nous paraît indispensable. Ce futur quartier qui reste à imaginer pourrait être un exemple d’intégration des besoins en service publics, particulièrement de santé, à la conception d’un espace résidentiel.
En prenant en compte la diversité des besoins de santé, ce quartier pourrait perpétuer sa vocation d'accueil et de soins de toustes. Étant donné l’espace disponible, il est facile d’imaginer répondre aux besoins criants de la population : pourquoi pas face à la crise du secteur psychiatrique, y intégrer des espaces de santé mentale et de lutte contre les addictions ? Face à la dégradation d’accès aux soins, y inventer une offre de soins non programmés ? Des services de prévention pour répondre aux multiplications des pathologies et au vieillissement de la population ? Alors que Nantes voit s'étendre les structures privées à but lucratif dans le domaine de la Santé, ce quartier pourrait être un symbole d’un retour en force des services publics, le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
Nous proposons que Nantes puisse y trouver une maison de naissance (maternité de niveau 1), pour assurer un accompagnement personnalisé des femmes enceintes et un accueil chaleureux des nouveaux-nés pour les cas sans complications. En plus d’une maternité, un accueil femme-enfant dédié devrait être créé, pour faciliter l’accès aux soins et aux accompagnements spécifiques aux nourrissons et jeunes enfants. Il est également important de maintenir sur ce site un centre de santé polyvalent regroupant des services de psychiatrie, une crèche, un service PASS (Permanence d’Accès aux Soins de Santé) et un CMP (Centre Médico-Psychologique). Ces services permettront de répondre aux manques déjà anticipés suite au transfert sur l’île de Nantes, avec une offre de soins variée accessible facilement depuis le centre-ville de Nantes. Enfin, c’est l’occasion de mettre en place un centre de traitement d’addictologie et une salle de consommation à moindre risque. Inexistante à Nantes, cette structure est pourtant démontrée comme très efficace pour lutter contre le fléau de l’addiction aux drogues en permettant aux personnes touchées de consommer dans de bonnes conditions d'hygiène et sous la surveillance d'un personnel qualifié.
À côté des besoins de santé et de logement, la question des équipements publics, et en particulier des crèches, mérite une attention particulière. De nombreuses familles nantaises peinent à trouver des places en crèche à proximité de leur domicile, créant des tensions dans la conciliation entre vie professionnelle et personnelle. L’Hôtel-Dieu, par sa situation centrale et son potentiel de reconversion, pourrait accueillir une ou plusieurs crèches, répondant ainsi à une demande locale clairement exprimée. De même, y installer des équipements publics variés (salle associative, ludothèque, maison de quartier, espaces sportifs de proximité) contribuerait à faire de ce futur quartier un lieu véritablement complet, équilibré et convivial. Vu le nombre de logements potentiels que l'on peut faire sur le site, une nouvelle école ici verra très probablement le jour en renfort de celles existantes sur Madeleine, Émile-Péhant. L’enjeu est d’offrir non seulement un toit et des services de santé, mais aussi un environnement adapté aux besoins du quotidien, favorisant l’émancipation de chacun et renforçant les liens de solidarité au cœur de la ville.
Repenser le ménagement au service de l’humain
L’écologie urbaine, mise en avant dans la notice du concours Europan «Ville Vivante» (3), ne doit pas être un retour déguisé aux “bonnes vieilles méthodes”, mais une démarche innovante respectant les besoins sociaux et environnementaux. Pour nous, une ville est vivante parce qu’elle est habitée, verte parce qu’elle est partagée, juste parce qu’elle répond aux besoins de celles et ceux qui la font vivre.
Il ne s’agit pas de verdir pour verdir un espace déjà artificialisé à 96 %, mais de “ménager” des lieux améliorant réellement la qualité de vie des habitants. Par “ménager”, il s’agit ici de “prendre soin” des ressources humaines, naturelles et bâties, de respecter les limites du monde en valorisant l’existant, et d’élargir nos pratiques pour passer d’une logique productiviste d’aménagement à une approche plus humble, réfléchie et partagée. Des espaces publics vecteurs de liens sociaux, libérant un quartier aujourd’hui enclavé, ceinturé de voitures et de trams, et qui, demain, continuera à vibrer au rythme de la vie nantaise. Des continuités végétales traversant le site, des espaces publics animés, une intensité d’usages innovants, des bâtiments rénovés selon les normes environnementales les plus strictes : voilà comment concilier respect de l’environnement et réponse aux besoins sociaux.
Transformer ce lieu nécessite une vision forte, permettant des interactions entre la législation nationale, portée par nos représentants au Parlement, et l’action locale. Ainsi, ce site peut devenir un quartier pilote, conçu pour durer, témoignant de ce que pourrait être la ville du XXIᵉ siècle, valorisant l’héritage du moindre bâtiment existant.
En France, chaque année, seul 1 % de bâti neuf est ajouté au parc existant. Ce faible pourcentage souligne l’importance cruciale de construire durablement. Mais le véritable défi du XXIᵉ siècle sera de préserver les 99 % restants, souvent composés d’immeubles énergivores, mal conçus, parfois insalubres et inadaptés. Préserver et réhabiliter ces structures est essentiel pour une bifurcation écologique et sociale réussie : nous n’avons d’ailleurs pas d’autres choix.
Aujourd’hui, rénover est complexe. Les coûts des matériaux augmentent, et paradoxalement, il est moins cher de construire du neuf que de réhabiliter l’existant. Pourtant, continuer ainsi est impensable lorsque l’on sait que construire du neuf émet cinq fois plus de CO₂ que rénover, et que l’on éventre nos sols comme à St-Colomban pour les ressources en sable, composant principal du béton. Les bâtiments de l’Hôtel-Dieu, comme le bâtiment en croix, offrent des surfaces considérables pouvant être réaffectées à d’autres usages : logements, hébergement d’urgence, bureaux, locaux associatifs ou professionnels de santé.
Avec une surface totale avoisinant les 250 000 m², le site permettrait de créer, sans réfléchir, entre 3 500 et 5 800 (4) logements. Le bâtiment en croix à lui seul représente 76 000 m², soit la possibilité d’accueillir entre 950 et 2 500 (5) logements. Il est de notre devoir d’utiliser au mieux ces espaces, sans pour autant transformer cette enclave en un milieu refermé sur lui-même nantais (6). La juste mesure est de mise : quel est le bon équilibre en termes de logements dans ces bâtiments existants ? Les solutions proposées par les jeunes architectes du concours Europan montrent que ces structures peuvent être adaptées pour accueillir de nouvelles fonctions non prévues à l’origine ; Lorsque Michel Roux-Spitz dessine, en 1951, le bâtiment en croix de l'hôtel-dieu, il n’a pas en tête qu’il pourrait un jour devenir des logements. Hors aujourd'hui qu’on se pose la question de ce que nous pouvons faire de ces bâtiments existants sous le prisme de la réversibilité. Le tour de force serait de n’avoir à cet endroit que des bâtiments à rénover et d’encadrer à la marge le reste à construire.
Nous devons imaginer un quartier où les services publics priment sur les intérêts privés. En refusant la privatisation du site et la mainmise éventuelle des promoteurs immobiliers, nous souhaitons que l’Hôtel-Dieu devienne un bien commun exemplaire, au service de la population, loin des logiques spéculatives.
Habitant, expert, concepteur, décideur : invités au tour de table dans cette ordre
Il est préoccupant de constater le procédé actuel précédant la rénovation de cette partie emblématique de notre ville. Un concours Europan a été lancé, sollicitant des architectes, jeunes espoir de la profession de moins de 40 ans, venus de toute l’Europe pour réfléchir sur l’Hôtel-Dieu—une initiative prometteuse. Cependant, ces professionnels se sont vus imposer une feuille de route prédéfinie par la mairie de Nantes, limitant leur créativité et leur capacité à proposer des solutions innovantes, en phase avec les aspirations des habitants.
Actuellement, les citoyens sont invités à donner leur avis après coup, pour que la ville de Nantes détermine les orientations futures. Cette démarche soulève une question fondamentale : qui décide réellement de l’avenir de ce site ? Laissons-nous une place à l’imprévu et au bon sens citoyen ?
À nos yeux, cette méthode manque de respect envers les citoyens et les architectes investis. Il aurait été plus judicieux de commencer par un audit des besoins et des attentes, réalisé avec toutes les parties prenantes : professionnels, associations, syndicats, mais surtout avec les habitantes et les habitants : des luttes émergentes sur le territoire, comme Hosto Debout ou le Collectif CAS Santé (7) montre que les volontaires pour échanger ne manquent pas. Ces éléments auraient servi de base aux architectes pour élaborer des propositions concrètes et neutres politiquement, véritablement adaptées aux aspirations de la population.
La participation citoyenne est cruciale, mais elle ne doit pas être un simple outil ou un semblant de décision. Les décideurs ne devraient plus hésiter à partager leurs projets en amont. Cela n’amoindrit en rien le rôle politique ni leur mandat, mais enrichit le processus et le résultat final. On ne construit plus aujourd’hui d’en haut comme il y a dix ans et il est urgent de revoir la méthode de co-construction sur les politiques publiques.
L’autorité en matière d’aménagement ne réside pas dans un pouvoir centralisé, mais dans un projet partagé. C’est ce que souligne Hannah Arendt dans son essai « Qu’est-ce que l’autorité ? » (1961), « l’autorité naît du partage et de l’échange authentique». Un projet est d’autant mieux réalisé et vécu qu’il est compris et intégré par ceux qui le vivront au quotidien. Dans le cas de l’Hôtel-Dieu, solliciter l’avis des habitants dès le départ aurait été bénéfique, or c’est presque à la toute fin qu’on lui demande son avis après verrouillage des orientations par les élus figées à leur tour dans les dessins de jeunes architectes.
En examinant les propositions actuelles du concours Europan, on constate qu’elles sont formatées selon des axes prédéfinis : des bâtiments sélectionnés à l’avance pour être conservés, l’introduction d’un “parc nourricier”—un concept galvaudé, marketé, greenwashé sans véritable sens à cet endroit précis. En impliquant la communauté dès le départ—en lui permettant de réfléchir, proposer, décider—ce projet aurait pu emprunter des directions inédites et devenir réellement novateur. Il en va également de la crédibilité de la démocratie participative “à la nantaise”, qui ne doit pas être un simple affichage politique mais bien un élément vécu et ressenti par les citoyens comme étant au cœur de la transformation de leur ville.
“Panser” le présent pour mieux penser l’avenir
Il est essentiel d’aborder la transformation de l’Hôtel-Dieu avec pragmatisme et responsabilité. Les décisions que nous prenons aujourd’hui déterminent la qualité de vie du peuple de Nantes pour les décennies à venir. En réhabilitant les bâtiments existants pour créer des logements accessibles, en maintenant une offre de soins de proximité et en impliquant les citoyens dès le début du projet, nous pouvons faire de l’Hôtel-Dieu un exemple concret d’urbanisme au service de l’humain.
Avec cet Hôtel-Dieu, il est temps de mettre en place des actions efficaces et réalistes qui répondent aux besoins réels de la population. En privilégiant l’intérêt général sur les intérêts privés, nous avons l’opportunité de transformer ce site emblématique en un bien commun du XXIᵉ siècle, adapté aux défis sociaux et environnementaux actuels. C’est une chance unique de démontrer que l’urbanisme peut être au service de tous, et non d’une minorité privilégiée.
Ne laissons pas passer cette opportunité que l’Hôtel-Dieu devienne le bien commun du XXIe siècle dont Nantes a besoin.
Mathieu Declercq
Pharmacien, militant pour l'accès aux soins et à la santé
Nantais depuis une dizaine d'année, Mathieu exerce son métier de pharmacien en quartier populaire. Militant pour l'accès aux soins et aux services publics, il est convaincu que la lutte pour défendre l’hôpital public et la qualité des soins est primordiale. Il est membre du « Comité nantais pour le droit à la santé et et à la protection sociale pour tous et toutes »
William Aucant
Architecte Diplômé d’état, Conseiller Régional et Militant pour le Climat et le Logement
Avec son expertise en architecture et urbanisme, William témoigne d'un engagement sans faille en faveur de la ville de la justice à l'ère du dérèglement climatique. Fort de ses expériences à travers l'Europe, il apporte une vision globale aux projets urbains, intégrant des méthodes constructives et participatives venue d'ici et d'ailleurs. Dans sa pratique, il promeut la ville-nature, la juste mesure et le droit à la ville. En 2019, il fait partie des 150 citoyens français sélectionnés pour participer à la Convention Citoyenne pour le Climat, expérience qui marquera un tournant et le poussera vers un engagement politique actif dès 2021 pour défendre les initiatives écologiques et sociales au niveau régional. Son engagement envers le climat, le ménagement du territoire, la participation citoyenne, et l'accès au logement et à la nature caractérise son action politique locale.
(0) - Cet article est rédigé par William Aucant et Mathieu Declercq, membres de La France Insoumise 44, à titre d’analyse et de proposition de pistes, distincte et complémentaire de la contribution officielle LFI 44 en cours de finalisation.
(1) - Mediacites, article du 3 octobre 2024 sur le projet Belle Etoile : https://www.mediacites.fr/enquete/nantes/2024/10/03/30-hectares-betonnes-a-carquefou-a-nantes-metropole-linexorable-grignotage-des-terres-agricoles-continue/
(2) - Nantes Métropole, cahier des charges du concours d'architecte Europan, p.16-17 https://www.europan-europe.eu/media/default/0001/28/e17_fr_nantes_brief_fr_pdf.pdf
(3) - Ouest France, article du 15 mai 2023 sur les demandes de logement social en attente : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/dans-la-metropole-de-nantes-on-compte-38-000-demandes-de-logement-social-en-attente-e035d692-efd8-11ed-b3bc-e6c5fd5ee2eb
(4) - Chiffres purement indicatifs basés sur une hypothèse de répartition des surfaces (environ 60 à 70 % du total dédié aux logements) et de surfaces moyennes par logement comprises entre 30 et 80 m² (logements compacts et familiaux). Il s’agit d’une vue de l’esprit visant à illustrer un potentiel maximal, sans prise en compte de contraintes techniques, réglementaires, patrimoniales ou structurelles. Ce calcul ne garantit en aucun cas la faisabilité réelle ni la qualité d’habitat.
(5) - Estimation théorique fondée sur la division des 76 000 m² par une surface type de 30 à 80 m² par logement, selon le type visé (du plus compact au familial). Là encore, ce n’est qu’une projection abstraite ne tenant pas compte des spécificités constructives, des normes en vigueur, de la configuration interne du bâtiment, ni d’un inventaire technique préalable.
(6) - Pour comparaison : Sillon de Bretagne (800 logements, environ 2 500 habitants), Résidence Beaulieu (250 logements, environ 750 habitants), Tour Bretagne (50 logements, environ 150 habitants), Les Dervallières (1 200 logements, environ 3 600 habitants), Résidence des Châtaigniers (400 logements, environ 1 200 résidents), Les Tours de Malakoff (1 000 logements, environ 3 000 habitants), Résidence du Parc (350 logements, environ 1 050 habitants), Les Horizons (500 logements, environ 1 500 habitants), Résidence Bellevue (600 logements, environ 1 800 habitants).
(7) - Collectif qui a élaboré un contre projet hospitalier pour le site de L’Hôtel Dieu: https://chuactionsante.fr/index.php/projet-chu-a-nantes/27-un-autre-chu-est-possible-a-nantes