Et si on abolissait la location immobiliere ?
Le principe de la location d’un logement semble pour tout le monde d’une évidence folle. Un propriétaire a travaillé dur toute sa vie pour payer le prix d’un appartement, qu’il n’habite pas ou plus et qui le met donc à disposition d’une autre personne pour qu’elle y vive. Il est donc normal que cette personne lui verse un loyer en compensation du droit à habiter dans la propriété d’autrui.
Et bien oui mais non, pas vraiment. La réalité de la propriété immobilière et de la sociologie entre propriétaires (ou plutôt multipropriétaires) et locataires en France nous montre un autre angle d’analyse de ce que représente la location comme l’un des principaux systèmes d’accumulation de patrimoine et d’appauvrissement de la classe des travailleurs. Creusons le sujet.
La location comme vecteur majeur d’inégalités sociales
La location est un énorme vecteur d’inégalités sociales. Un locataire en France consacre en moyenne 29% de son budget pour payer son loyer, un tiers de son salaire qui est consommé pour son logement, sans aucun gain de patrimoine. Aucune possibilité d’accéder lui-même à la propriété d’un logement, le ticket d’entrée étant un apport de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour avoir à un prêt bancaire, somme inaccessible à nombre de jeunes ou travailleurs populaires et des classes moyennes basses sans héritage.
De l’autre côté, les classes aisées en profitent facilement, investissant un apport pour acheter un logement qui en vaut 5 fois la valeur grâce à un prêt de la banque. Il suffit de mettre ce logement en location, et un travailleur va ainsi vous donner presque un tiers de son salaire pour que vous puissiez le convertir en patrimoine en remboursant votre prêt. 20ans plus tard, vous pouvez revendre en ayant quintuplé votre mise de départ, voire plus si le marché immobilier a flambé dans votre secteur, sans avoir rien eu à faire, exemple magistral d’enrichissement par la rente. Aucun gain pour les locataires successifs du logement qui ont pourtant financés la majorité du bien par leur travail.
A l’échelle du pays, c’est une véritable pompe aspirante des plus bas salaires vers les plus hauts patrimoines. Rappelons ici que la propriété immobilière est en France extrêmement concentrée sur les classes sociales les plus aisées : 24% des ménages possèdent 68% des logements privés, et encore plus révélateur, 3.5% des ménages possèdent au moins 5 logements et cumulent 50% du parc de logements privés mis en location.
C’est donc un tiers du salaire de millions de travailleurs qui sert à accroitre le patrimoine des 3.5% des ménages les plus riches. La location est une gigantesque pompe aspirante du travail vers la rente et l’accumulation de patrimoine immobilier.
Pour arrêter l’hémorragie, abolissons donc la location, là maintenant, que se passe-t-il ? Les besoins pour se loger restent les mêmes, dont celui pour toutes celles et ceux, ne pouvant pas emprunter à la banque, de se loger en paiement mensuellement. Il faut donc un système remplaçant la location en ce point, voilà ma proposition : le bail d’achat progressif.
Fonctionnement de l’achat progressif
Le bail d’achat progressif se substitue à la location en ce sens qu’il permet de se loger sans apport initial grâce à un versement de mensualités au propriétaire bailleur, mais c’est bien d’un acte d’achat dont il s’agit, voilà comment cela fonctionne.
A la signature du bail, un montant de mensualité versé par l’acheteur progressif (ex locataire) au propriétaire vendeur (ex propriétaire) est fixé, qui comprend deux parties : un montant converti en achat de part de propriété du logement, et un montant d’intérêt.
Le taux d’intérêt dépend du temps que mettra l’acheteur à acheter en totalité le logement : plus la mensualité sera élevée, plus l’achat du bien sera rapide et donc le taux d’intérêt bas (comme pour un prêt bancaire). Au contraire une mensualité plus faible équivaut à un rachat du bien sur plus d’années, et subira donc une part d’intérêts plus importante. On a donc, comme pour un achat classique, besoin d’avoir le prix de marché du logement, qui sera achetée progressivement sur 15, 20, 25 ans.
Pendant l’achat progressif, l’acheteur habite le logement et en devient progressivement propriétaire, le vendeur récupère progressivement son patrimoine en liquidité et touche en bonus des intérêts. Si l’acheteur va au terme de l’achat, il devient entièrement propriétaire du logement et peut y habiter gratuitement ou le revendre à son tour.
Dans de nombreux cas, l’acheteur n’ira pas jusqu’à l’achat complet du logement et déménagera d’ici là. Dans ce cas, il reste propriétaire partiel du logement et peut soit revendre ses parts à quelqu’un d’autre, soit il touchera sa part de l’achat progressif de la prochaine personne habitant le logement. Le propriétaire majoritaire est en charge des décisions concernant le logement, avec la possibilité d’imposer aux propriétaires partiels la vente directe ou la vente progressive.
La location serait ainsi abolie et remplacée par un système d’achat progressif avec intérêts. Le propriétaire initial du logement s’y retrouve, si la vente progressive va à son terme, il aura touché la valeur de marché du logement plus des intérêts dédommageant le temps qu’il a dû attendre, c’est la même façon qu’ont les banques de s’y retrouver lors d’un prêt. Le locataire devenu acheteur s’y retrouve également, le loyer aspiré par un rentier devenant partiellement un achat différé transformé en patrimoine.
Le principe fondamental du bail d’achat progressif peut se résumer en une phrase : toute personne devient progressivement propriétaire du logement qu’elle habite.
Les bienfaits de l’achat progressif
Le montant de la mensualité pourra être négocié entre le propriétaire vendeur et l’acheteur progressif, en prenant bien en compte l’impact d’avoir un taux d’intérêt lié au montant de la mensualité. Pour rappel, plus la mensualité est élevée, plus le taux d’intérêt est bas et inversement.
Ce principe est crucial car il ouvre la voie à des négociations avec un résultat qui semble paradoxal : le propriétaire vendeur peut avoir un intérêt financier à une baisse de mensualité !
En effet, une mensualité plus faible signifie qu’il touchera en proportion une plus grande part d’intérêts tout en cédant une part plus faible des droits de propriété du bien. Cela maximise donc sur le temps long la valeur totale qu’il pourra tirer de la vente progressive de son bien. Au contraire, une mensualité plus élevée permet d’acheter plus vite des parts, avec un taux d’intérêt plus faible, ce qui avantage un acheteur ayant les moyens d’augmenter ses mensualités, maximisant la part de sa mensualité transformée en patrimoine.
En inversant ainsi les intérêts entre acheteur et vendeur, l’achat progressif pourrait donc intrinsèquement baisser le coût pour se loger pour les acheteurs à faibles revenus, par rapport au système de location où les choses sont claires, le propriétaire à tout intérêt à fixer un loyer aussi élevé que possible du moment qu’un locataire est prêt (ou n’a pas le choix) à le lui payer.
D’autres mécanismes intéressants émergent de l’achat progressif : en cas de difficulté financière pour l’acheteur, il est tout à fait possible de négocier avec le vendeur de remplacer tout ou partie de la mensualité par une rétrocession des droits de propriété. Cette rétrocession se fait nette d’intérêts, et est donc intéressante pour le vendeur qui pourra ensuite les revendre avec intérêts. Par exemple pour quelqu’un qui perd son emploi ou subit un grave accident de vie, la possibilité de réduire de moitié voire totalement sa mensualité pour quelques mois en puisant à la place dans son patrimoine peut sauver des situations personnelles et garantir une stabilité pour ce genre de coups durs.
En dézoomant un peu du cas individuel, si ce système est implémenté à l’échelle du pays, on peut s’attendre à un effet massif de baisse des prix de l’immobilier. Pourquoi ? Avec l’achat progressif, les propriétaires investisseurs qui achètent des logements à la pelle pour vivre de leur rente seront largement éradiqués, quel intérêt d’acheter un bien juste pour le mettre en achat progressif ? Au mieux l’investisseur récupère progressivement ce qu’il a dépensé en perdant dans le même temps sa propriété, il n’y gagne que les intérêts qu’il peut par ailleurs trouver en investissant autre part. Le cercle infernal de la spéculation immobilière locative ralentit, voire s’arrête.
Cas de l'achat progressif pour les logements publics
Ce système s’applique initialement aux propriétés privées, car c’est là que la location est la plus problématique, mais qu’en est-il des locataires de logements publics ? Afin de garantir l’égalité entre tous les citoyens sur le droit à devenir propriétaire du logement qu’on habite, il faut également instaurer l’achat progressif pour le public.
Quel impact pour les bailleurs publics ? De la même façon que pour les bailleurs privés, ils ne sont pas lésés par ce système, ils construisent des habitats collectifs, les mettent en vente progressives sur 25ans à mensualités réglementées, et récupèrent leur investissement plus des intérêts qui serviront à construire de nouveaux logements.
Seule garantie à appliquer en supplément : les mensualités réglementées restent liées au logement. Même une fois devenu propriété de particuliers, ceux-ci devront respecter un plafond de mensualités lors d’une revente progressive, et les reventes directes seront interdites. Cela garantie que le bien garde sa fonction initiale de logement accessible à des personnes à faibles revenus, le logement continue d’œuvrer pour le bien commun même sans propriété publique.
C’est d’ailleurs un système similaire à ce qui est déjà en place avec l’accession à la propriété, aujourd’hui destinée aux classes moyennes. Il s’agit de l’étendre à tout le parc locatif public sous des conditions renforcées.
Impact de long terme sur le marché immobilier et l’héritage
Imaginons 50ans après la mise en place de ce système, les habitants fluides des grands centres-villes seront acheteurs progressifs du logement qu’ils habitent, codétenu par la dizaine d’anciens acheteurs progressifs ayant à tour de rôle vécu dans ce logement sur les 20 dernières années. Pour les personnes habitant la même maison pendant des décennies aucun problème, ils seront comme aujourd’hui seuls propriétaires du logement qu’ils habitent, c’est déjà de la propriété d’usage.
Ce système ne touche nullement au modèle de maisons familiales, important pour la plupart des Français, ni même au fait d’acheter un logement pour que ses enfants y habitent ou à la maison secondaire laissée malheureusement vide 10 mois de l’année. Il s’attaque exclusivement au principe de multipropriétés mises en location, et encore davantage au système d’investissement locatif qui est au cœur de la crise du logement aujourd’hui.
Le système tend tendanciellement vers la propriété d’un logement par ménage, ce qui est l’idéal d’un système patrimonial égalitaire.
A l’échelle du pays, ce sera un vaste transfert de patrimoine des couches sociales les plus riches vers les classes moyennes basses et classes populaires, car rappelons qu’aujourd’hui 50% des logements privés en location sont détenus par 3,5% des ménages les plus riches. Les plus grands héritages immobiliers, transmettant des dizaines d’appartements de génération en génération seront naturellement éliminés, réduisant significativement les inégalités de naissance dont l’héritage est aujourd’hui l’un des plus grands vecteurs.
Je préviens tout de suite, le système de l’achat progressif ne résout pas tout, il restera les logements de locations touristiques types AirBnB à réglementer, les maisons secondaires laissées vacantes alors que des travailleurs ne trouvent pas à se loger à réquisitionner, des inégalités de patrimoine mobilier dans les entreprises et la finance à aller chercher. Il fournit cependant une large base égalitaire permettant à beaucoup de récupérer un tiers de leur salaire en réserve patrimoniale, créant un levier formidable de sortie de la précarité de masse.
Enfin, j’aimerai conclure pour répondre d’avance à celles et ceux qui s’offusquerait d’une politique jugée anti propriétaires. Réduire le champ de la propriété lucrative, c’est augmenter le nombre de propriétés d’usages. Des politiques pour la propriété d’usage des logements sont donc très profondément en faveur de la propriété, de plus de propriété même, mais en la répartissant égalitairement au sein de la population.
Alors, on abolit la location ?
Thomas BOUTIGNY
Ingénieur en Énergies Renouvelables et Militant Écologiste
Né en 1994 dans les Yvelines, Thomas Boutigny a orienté sa vie professionnelle et militante vers le développement durable. Spécialisé en génie énergétique à l'IMT Atlantique, il s'investit dans le photovoltaïque, l'éolien, et le militantisme à La France Insoumise. Co-président de Nanteol et membre de WattElse, il concrétise son engagement écologique par des projets citoyens énergétiques. Son action politique se concentre sur les politiques énergétiques et de décarbonation, ainsi que sur le logement et la réindustrialisation.