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14 oct. 2024

Ecoles privees et publiques, une concurrence libre et faussee

État des lieux

Depuis la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État dite de laïcité, nous avons assisté dans notre pays et particulièrement dans notre région à une lutte souvent feutrée parfois plus incisive entre l’enseignement public et l’enseignement privé sous contrat (d’association ou de contrat simple) essentiellement rattaché à la religion catholique. Actuellement, en France, environ 17 % des élèves sont scolarisés dans le privé, très majoritairement dans des établissements sous contrat qui relèvent pour 97 % de l’enseignement privé catholique.

Dans notre région, l’enseignement privé sous contrat c’est en chiffre : 259 011 élèves scolarisés sur 682 411 élèves au total soit 37,95 % des élèves scolarisés dans 1091 établissements sur les 2228 de l’académie soit 32,87 % des établissements.

En Loire-Atlantique, l’enseignement privé représente presque 100.000 élèves soit plus d’un tiers (36,4%) des élèves scolarisés dans 341 établissements privés. Cette proportion est donc deux fois plus élevée que la moyenne nationale, même si elle n’atteint pas le chiffre stratosphérique de 51,2% de nos voisins Vendéens, et montre le poids important de l’enseignement privé chez nous (1).

Plusieurs questions nous traversent. Dans un contexte où l’Éducation Nationale subit de plein fouet des réformes qui l’affaiblissent, des assauts du secteur marchand qui souhaitent tirer profit de cette manne financière extraordinaire, l’enseignement privé tire-il avantage à cette situation ?

Dans le contexte des scandales à répétition des financements des établissements privés (collège-lycée Stanislas, financement non obligatoire par certaines régions d’investissements), comment cette concurrence qui est souvent tue se concrétise-t-elle ?

Enfin, dans la mesure où les politiques menées depuis des années accentuent cette mise en concurrence, sommes-nous arrivés à un point de rupture où l’enseignement public ne peut plus lutter contre cette concurrence libre et largement faussée ?

Une implantation historique liée à l’influence de la religion catholique mais pas seulement

Comme dans l’ensemble de la Bretagne, cette forte implantation de l’enseignement privé en Loire-Atlantique trouve ses racines dans la très forte influence de la religion catholique, souvent investie dans l’éducation, à tous les niveaux. Des terres protestantes ont une histoire très différente faisant traditionnellement confiance à l’enseignement public à partir de la Révolution Française.

Cette géographie de l’enseignement privé suit donc sans surprise la géographie religieuse de notre pays. Elle bénéficie d’un accès au foncier important, de bâtiments diocésaux déjà acquis et disponibles souvent dans les centres villes. A Nantes, les établissements privés catholiques de plein centre ville sont nombreux : Collège Chavagnes, Externat des enfants Nantais, Lycée Saint-Stanislas, Lycée du Locquidy … ce qui facilite la scolarisation de nombreux élèves en proximité. Mais il est à noter qu’en plus, certaines facilités ont pu leur être accordées dans un passé récent pour de nouvelles installations.

Ainsi l’établissement privé de La Joliverie a bénéficié d’une implantation sur l’île de Nantes plaçant cet établissement dans une position privilégiée au cœur des pôles graphiques. L’établissement privé (non catholique) CinéCréatis a su également s’implanter dans cette zone.

Deux récentes enquêtes montrent les inégalités de financement entre les lycées privés et les lycées publics. Mediapart a révélé par exemple que les régions avaient accordé entre 2016 et 2023 à l’enseignement privé 1,2 milliards d’euros d’argent public pour de l’investissement au-delà des obligations légales qui leur sont imposées par la loi (2). Les financements obligatoires pour la même période s’étaient élevés à 3 milliards. Cette rallonge représente donc près de la moitié du financement obligatoire.

Dans ce contexte, la région Pays de la Loire n’est pas en reste puisqu’elle se place au deuxième rang des régions ayant fait les rallonges les plus élevées, avec 234 millions d’euros, juste derrière la région Rhône-Alpes-Auvergne. On sait bien que les élèves issus des établissements privés sont issus de milieux plus favorisés que celles et ceux des établissements publics. Inégalité criante puisque ces élèves bénéficient donc à la fois du financement apporté par les familles et de plus d’argent public pour leur école.

La seconde étude, publiée par France Info, porte sur les dotations (3). Elle montre que la dotation moyenne d’heure de cours par élève des lycées généraux et technologiques est plus élevé dans le privé sous contrat que dans le public. L’étude montre donc qu’à la rentrée 2023, dans 19 académies sur 24, le taux d’encadrement par élève était plus grand dans le privé que dans le public. On assiste donc bien à une organisation de la concurrence public/privé avec de l’argent public mais une concurrence libre et très faussée, scandaleusement faussée au profit du privé.

Les déclarations de notre éphémère et inénarrable ministre de l’Éducation Nationale Amélie Oudéa-Castera, ont permis de mettre un éclairage particulier sur l’établissement privé Stanislas de Paris où elle a choisi de scolariser ses 3 enfants. Aux détours des différents articles de presse, on y apprend que cet établissement a fait l’objet d’une enquête interne pour des faits graves, des paroles contraires à la loi (anti-IVG, homophobie, etc ...) et différentes atteintes à la laïcité.

Ainsi, Complément d’enquête a diffusé le jeudi 10 octobre 2024 sur France2 une émission qui montrait que le ministère de l’Éducation Nationale avait diligenté une enquête interne de l’inspection générale. Celle-ci avait constaté certains manquements graves et avait demandé à l’établissement d’y remédier. Mediapart commente (4) : « l’ex-patronne de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la jeunesse, et désormais directrice générale de l’enseignement scolaire, a défendu le collège Stanislas pourtant mis en cause par ses propres services ».

MAIS on a appris aussi récemment que cet établissement regroupant 3000 élèves de la maternelle aux classes préparatoires, est ultra subventionné par l’état, la région Île de France et la ville de Paris et bénéficie d’infrastructures tout à fait hors normes.

Jugeons plutôt : Situé au cœur de Paris dans le sixième arrondissement, avec presque trois hectares de terrain, Stanislas est une véritable « ville dans la ville ». Les cours de récréations sont nombreuses et agrémentées d’espaces verts. Stanislas se distingue par son offre d’équipements :

  • 21 laboratoires

  • 3 amphis

  • 7 gymnases

  • 2 piscines

  • 2 murs d’escalade

Par contraste, nos établissements publics font pâles figures. Certains lycées à Nantes ne possèdent même pas de gymnase et doivent quémander à la Ville de Nantes l’emploi de certains équipements sportifs pour pouvoir honorer tout simplement les programmes. A force d’enseigner dans la précarité, on en oublie que certains bénéficient de tout, jouant à plein le séparatisme scolaire qui détruit peu à peu notre école publique.

Preuve que ce sujet du financement se retrouve dans l’actualité, le député de la 5ème circonscription du Val d’Oise, Paul Vannier et son collègue Christopher Weissberg député de la 1ère circonscription des français établis hors de France, ont publié le 2 avril 2024 un rapport d'information déposé par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, en conclusion des travaux d'une mission d'information relative au financement public de l’enseignement privé sous contrat (5).

On peut y lire qu’il apparaît assez difficile d’évaluer les dépenses publiques des établissements privés sous contrat et qu’il est probable que celles-ci soit sous-estimées. On peut y lire également que le contrôle par l’état est difficile, peu fréquent (en moyenne au rythme actuel un établissement privé en verrait un tous les 1500 ans … Sic) et qu’il ne conduit quasiment jamais à la rupture de contrat. Enfin, on y apprend que l’enseignement privé est le principal contributeur à la dégradation de la mixité sociale et scolaire loin du mythe de la participation du privé à cet effort commun.

Une implantation qui bénéficie du contexte de contournement des cartes scolaires

Depuis très longtemps certains établissements publics voient leur réputation les précéder souvent à cause de leur proximité avec un quartier dit populaire. On assiste à un jeu des familles qui consiste à les éviter. Toutes les stratégies sont possibles et éprouvées : domiciliation chez un proche, spécialité ou option rare demandée en dérogation car offerte dans un seul établissement, rapprochement de fratrie, … et des meilleures.

Tant que ces possibilités existent, les familles tentent de les faire jouer, pour échapper à tel ou tel établissement, pour accéder à un autre établissement public. Puis lorsque la possibilité se restreint, la règle de la carte scolaire ne pouvant pas toujours se contourner, les familles ont recours à une inscription vers le privé qui ne suit évidemment pas les mêmes règles d’affectation.

Dans la région Nantaise, certains établissements souffrent de leur « mauvaise réputation ». Les lycées Albert Camus ou Gaspard Monge ou les collèges de la Durantière, de Rosa Parks, entre autres. En 2021, le classement très contestable « Le Figaro » classait à Nantes 10 établissements privés parmi les 15 meilleurs collèges de la Ville, ce qui montre à l’évidence les stratégies bourgeoises de faire sécession du reste de la société au prétexte discutable de la qualité de l’enseignement.

Ainsi, comme les familles qui jouent à ce jeu de l’évitement sont des familles statistiquement plus aisées, voire bourgeoises, statistiquement plus élitistes sur la réussite de leur progéniture, les établissements ainsi évités voient leur public progressivement changer, en concentrant plus de familles à revenus modestes, plus de familles monoparentales, plus de familles des quartiers populaires. On assiste bien à une paupérisation de ces établissements par le vide des classes moyennes supérieures puis des classes moyennes tout simplement … ce qui accentue encore et encore les stratégies d’évitement ultérieures.

De plus, certains établissements privés procèdent à la sélection de leurs élèves afin de se garantir les meilleurs taux de réussite aux examens et concours. Sélection à l’entrée ou en cours de scolarité sur les résultats mais aussi sélection en renvoyant vers le public les élèves les plus difficiles, ceux qui demandent plus d’attention, plus de personnel. Facile dans ces conditions d’assurer un climat calme et propice aux acquisitions ...

Cet argument peut faire mouche auprès de certaines familles. L’enseignement public accepte tout le monde, fort heureusement en s’acquittant de sa mission d’enseignement obligatoire et universel. Mais cette mission devient de plus en plus difficile à tenir dans un contexte de réduction du nombre d’enseignants, où les adultes sont de moins en moins nombreux dans les établissements et où les classes sont de plus en plus chargées.

Une concurrence qui devient mortelle pour le public ?

On voit bien aux travers des exemples mentionnés que les établissements publics se trouvent dans une situation difficile, mis en concurrence entre eux et soumis aussi à une concurrence plus féroce encore avec les établissements privés.

Cette concurrence largement sous estimée mais aussi largement sous documentée pour ne pas rallumer la « guerre public-privé » a installé l’idée que l’enseignement privé sous contrat participait au service public d’éducation et était le garant au même titre que l’enseignement public d’une certaine égalité à la fois sociale et laïque.

Les récents scandales et récentes publications montrent qu’il n’en était rien et ce depuis de très nombreuses années et que nous avons laissé derrière un paravent opaque perdurer des inégalités inacceptables au sein de notre Éducation Nationale. Ces inégalités conduisent à un séparatisme scolaire image d’un séparatisme social qui se matérialise aussi parfois par une non acceptation à l’impôt de certaines familles privilégiées mais qui acceptent de payer pour leurs enfants des frais de scolarité assez élevés.

Les politiques libérales veulent mettre au pas les derniers bastions de l’enseignement public, de l’hôpital public et des services publics en général pour en faire une marchandise comme une autre. De nombreux groupes investissent dans l’enseignement, d’abord dans le supérieur mais par petites touches dans le secondaire et le primaire (aides aux devoirs, soutien scolaire, écoles de langues, …). Les établissements publics pris entre toutes ces concurrences peinent à conserver une place centrale dans les dispositifs nationaux proposés ce qui pourrait conduire à leur disparition. Ainsi, on peut se demander si les établissements privés sous contrat ne constitueront pas une formidable tête de pont pour parachever ce funeste dessein en organisant une concurrence libre et … faussée.

Olivier MAGRÉ

Diplômé de l’École Normale Supérieure de Cachan, Agrégé et Docteur en Sciences Physiques Appliquées

(1) - Académie de Nantes, données clés année scolaire 2023-2024 : https://www.ac-nantes.fr/media/14282/download et https://www.ec44.fr/

(2) - Article Mediapart du 26 août 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/france/260824/lycees-prives-revelations-sur-une-rallonge-de-12-milliard-d-euros-d-argent-public

(3) - Article France Info du 3 septembre 2024 : https://www.francetvinfo.fr/france/rentree/enquete-franceinfo-rentree-scolaire-desdonnees-internes-a-l-education-nationale-revelent-les-inegalites-d-enseignement-entrepublic-et-prive_6698430.html

(4) - Article Mediapart du 11 octobre 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/france/111024/cela-ne-nous-regarde-pas-la-directrice-de-l-enseignement-scolaire-defend-le-college-stanislas-et-ignore-le

(5) - Assemblée Nationale, rapport d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b2423_rapport-information#

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

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