Burn Out : Alerte generale sur la sante mentale au travail
En tant que jeune psychiatre, je ne peux dissocier mon exercice professionnel des enjeux politiques actuels. Ainsi, dans le cadre de téléconsultations de psychiatrie adulte, de nombreux patients me sollicitent pour des troubles anxieux et dépressifs très invalidants. Ces patients et citoyens sont originaires des quatre coins de l’hexagone, ce qui permet une certaine représentativité géographique.
La question du travail salarié prédomine dans le discours bien avant les problèmes personnels, même si les deux peuvent se cumuler. Malgré la diversité d’individus, d’origines sociales, d’âge, de profession, les manifestations cliniques sont bien souvent les mêmes et sont ceux du syndrome d’épuisement professionnel souvent appelé « burn out ». Je propose ici mon analyse en tant que soignant confronté aux témoignages de dizaines de patients subissant les conséquences du burn out, pour vous aider à mieux comprendre ses origines et les impacts qu’il a déjà sur la masse des travailleurs.
Les symptômes du Burn Out : de la phase d’alarme à l’effondrement.
Il peut d’agir dans un premier temps de stress et d’une fatigue importante. Des pensées autour du travail associées à des symptômes d’angoisses (gorge nouée, douleurs abdominales, maux de tête par exemple) sont très souvent présents. Survient ensuite une période souvent longue de quelques mois, appelée phase de résistance durant laquelle la personne tente tant bien que mal de tenir le coup mais maintient son activité associée à un déni souvent puissant. Il apparait à un moment donné la phase rupture, qui est un effondrement physique et psychique.
Cet effondrement se manifeste souvent par une fatigue excessive avec une incapacité à récupérer malgré des périodes de repos, une difficulté à effectuer des tâches d’habitude réalisées simplement. Une humeur très basse avec de nombreux pleurs est aussi associée, y compris sur le lieu de travail avec parfois des idées noires voire suicidaires. Les troubles du sommeil, la perte d’appétit et les addictions sont aussi extrêmement fréquents. Cette ultime étape est donc nommée « burn-out ».
Je souhaite mettre l’accent sur un symptôme peu évoqué : la culpabilité. En effet, ces personnes décrivent un sentiment de culpabilité personnelle (incapacité à tenir le rythme, à répondre aux exigences de l’employeur) mais aussi envers leurs collègues de peur de leur rajouter une charge de travail, ou même envers leur employeur qu’ils vont mettre en difficulté. Ces éléments de dévalorisation, d’effondrement de l’estime de soi et d’intériorisation de la responsabilité du burn-out sont quasi-constants.
Burn Out : tous les travailleurs sont concernés
La prépondérance de ces problématiques parmi les motifs de consultations me questionne particulièrement et la dimension systémique ne peut pas être mise de côté. En effet, il est important de souligner que ces symptômes concernent des pans très vastes du champ professionnel. Rien que ces dernières semaines, j’ai pu voir en consultation : des cadres de grandes entreprises internationales mais aussi des employés de terrain de ces mêmes entreprises, des employés d’enseignes très connues, des cadres de la fonction publique hospitalière ou appartenant aux forces de l’ordre, des soignants (aide soignants mais aussi infirmiers). Cette liste est non exhaustive et vise à illustrer la pluralité de profils.
Les origines du Burn Out : un contexte professionnel déshumanisant et une perte de sens au travail
En questionnant la dimension de travail en consultations, est évoqué la plupart du temps un management violent, matérialisé par une pression importante sur les salariés qui doivent répondre à un politique du chiffre . On me décrit que les manager ferment les yeux sur la manière de les obtenir.
La déshumanisation est prépondérante : absence de prise en compte de la vie personnelle, nombreuses heures supplémentaires imposées de manière explicites ou implicites parfois non payées, ordre d’effectuer des tâches en dehors de la fiche de poste, collègues non remplacés, culpabilisation accrue par les manager malgré une demande de cumule de tâches absolument intenable.
« J’ai fait souvent remonter mes difficultés mais elles restent lettres mortes ».
Certains me font part de la mise en avant de la part de leur entreprise d’un soin particulier mis à la qualité de vie au travail, avec des beaux locaux, des espaces de détente ainsi que le respect de la vie personnelle. La réalité semble cependant toute autre avec une absence totale de souplesse, un droit à la déconnexion très souvent bafoué y compris lorsqu’un arrêt de travail est prescrit. On constate que des artifices esthétiques du cadre de travail déployés par certaines entreprises ne compensent pas le mal-être au travail généré par des méthodes managériales agressives.
La notion de perte de sens au travail est aussi mise en avant. L’individu qui pensait appartenir à une entité vertueuse et utile se rend bien souvent compte qu’il est exploité à des fins qui ne sont pas celles proposées initialement par l’employeur. Cette perte de sens dans le cadre du syndrome d’épuisement professionnel a bien souvent des répercussions personnelles qui peuvent parfois être graves : abandon des liens sociaux, incapacité à accomplir les tâches personnelles du quotidien, absence de projection positive dans l’avenir.
« J’ai le sentiment de travailler pour remplir des lignes sur un tableau excel ».
Victimes de Burn Out : un manque de recul alarmant sur le lien avec les conditions de travail
Lors de la première consultation, le patient met souvent en avant ses symptômes sans forcément faire le lien avec le travail. Alors que l’échange démarre juste, il est assez fréquent que je décrive grossièrement les caractéristiques cliniques de l’épuisement professionnel, recevant très souvent pour réponse « oui docteur, c’est exactement cela, comment avez-vous deviné ? », soulignant bien le sentiment de solitude vécu dans ces situations ainsi que le manque de recul inhérent à ce trouble.
Malgré les idées reçues et promues par les médias et politiques au pouvoir, il est souvent difficile de faire accepter la prescription d’un arrêt de travail, fusse-t-il de courte durée.
La culpabilité émerge alors dans le discours et marque un frein pour la poursuite des soins. Il s’agit de l’intégrer et de la contourner. Un argument entendu est la notion de rupture de contrat initial qui n’est pas respecté, que ce soit en nombre d’heures travaillées mais aussi la quantité et qualité de tâches demandées. Le travailleur comprend que la responsabilité de son état ne lui est pas complétement imputable, permettant alors d’alléger ce sentiment de culpabilité. Une amorce de travail de lâcher prise qui amène à une mise à l’écart de son poste de travail est alors envisageable.
A l’échelle individuelle, la consultation d’un professionnel de santé mentale est indispensable
A l’échelle individuelle, le premier soin à mettre en place est tout d’abord un arrêt de travail. Après avoir effectué un interrogatoire médical minutieux et conclut au syndrome d’épuisement professionnel, l’extraction de l’environnement en cause est la première étape. Lorsque l’évaluation se fait relativement tôt dans le développement du syndrome, l’arrêt de travail peut être de relativement courte durée (quelques jours à quelques semaines). Cependant, la consultation pour ce motif est le plus souvent tardive et nécessite des semaines voire des mois de mise à distance. Cela est souvent mal vécu par le travailleur qui négocie une reprise précoce alors même que le reste de son discours fait état d’un épuisement majeur.
La prescription de médicaments, notamment de la classe des antidépresseurs et anxiolytique s, peut être nécessaire lors de situations particulièrement graves, mais le soutien psychologique par un psychologue, psychiatre ou autre professionnel de santé mentale doit être la pierre angulaire du soin.
Le manque d’accès aux soins engendre souvent des aggravations ou des retards à la reprise du travail dans de bonnes conditions. L’accompagnement psychologique prend alors en compte des dimensions beaucoup plus vastes que le travail salarié afin de reprendre pied au quotidien et redonner des perspectives heureuses et souhaitables dans l’avenir. La question de la réorientation professionnelle se pose aussi très souvent mais l’impératif de conserver un salaire décent freine ces réflexions.
A l’échelle collective : Lutter pour garantir des conditions de travail préservant la santé des travailleurs
Après avoir constaté la multiplication croissante de ces situations individuelles, il semble important de comprendre les causes systémiques qui sont à l’origine de ces situations et pouvoir apporter des réponses collectives.
Tout d’abord, la « flexibilisation du travail », qui considère qu’un travailleur peut occuper un poste un temps donné dans une entreprise donnée puis en changer ensuite au gré du marché est une première piste de réflexion. En effet, le turn-over permanent complique l’organisation des travailleurs en syndicat et affaiblit le rapport de force avec les employeurs. Bon nombre de salariés, notamment jeunes, ne pensent même pas à cette solution pour améliorer leurs conditions. Un travail méticuleux semble en place pour affaiblir l’éventualité de réponses collectives à des problèmes individuels de conditions de travail dégradées, première source d’apparition du burn out.
La diminution des conditions d’accès au chômage et des droits est aussi un élément du rapport de force en faveur de l’employeur. Cette situation génère de l’insécurité et du stress pour les salariés, les incitant à accepter plus facilement des conditions de travail dégradées.
La question relative aux droits du travail est aussi très peu considérée. Aucun des patients interrogé n’a évoqué de contrôle de leur entreprise alors même que de plus en plus de salariés de ladite entreprise sont dans une situation de souffrance professionnelle. Le renforcement des effectifs des contrôleurs du travail serait une réponse collective efficace pour limiter les dérives. Cependant, la volonté politique semble aller dans le sens opposé avec une réduction progressive des effectifs (1).
Le travail est un enjeu majeur de santé public
La santé mentale à court et long terme de plus en plus de travailleurs français est fragilisée par leurs conditions de travail. On observe des troubles anxieux et/ou dépressifs sources de handicap à long terme. Le retour à l’emploi n’est d’ailleurs pas toujours envisageable, ce qui cause mécaniquement une franche dégradation des conditions de vie du citoyen. J’alerte sur le fait que cette souffrance, invisible le plus souvent, est très peu considérée et amène à un décrochage social de nombreux travailleurs.
La lutte pour l’amélioration des conditions de travail doit être renforcée. Mettre l’accent sur la prévention primaire me semble primordial. Celle-ci est centrée sur l’organisation du travail et renvoie à une prévention collective des risques. Elle passe par la prise en compte de l'ensemble des facteurs de risques dans les situations de travail, le renforcement du contrôle de l’application du droit du travail pour éviter les dérives. Il me semble que le législateur devrait statuer sur l’interdiction de méthodes managériales déshumanisantes. L’intervention au sein des entreprises de professionnels de santé mentale pourrait aussi être généralisée.
De manière plus générale, la réduction du temps de travail dans la semaine est dans la vie pourrait améliorer la santé mentale de nombreux travailleurs en leur laissant suffisamment de temps de repos et d’autres activités, qui sont des facteurs majeurs de préservation de la santé psychique. Le renforcement des moyens pour les soins de santé mentale, la facilitation de son accès, notamment avec le remboursement de la psychothérapie permettrait d’éviter des situations particulièrement graves et améliorer la vie des travailleurs.
Antoine Claudon
Interne en psychiatrie et addictologie à Nantes
(1) - Article de l’Humanité du 23 juillet 2024 sur la diminution des effectifs à l’inspection du travail : https://www.humanite.fr/social-et-economie/inspection-du-travail/un-veritable-plan-social-est-en-cours-a-linspection-du-travail-denonce-la-cgt