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15 mars 2024

Bulldozers contre Bonheur

L'ANRU, financeur public de la destruction de logements.

Certains actes défient la compréhension humaine, et parmi eux, la destruction des logements en France tient une place particulière. Face à 4,1 millions de personnes en souffrance de mal-logement, dont 320 000 sans abri, la démolition de logements dans une crise combinée et aiguë de logement et du climat frise l'inhumanité. Et pourtant, tout se déroule sans lutte et sans indignation alors que le logement est le pillier de nos vies quotidiennes.

Alors que 3,1 millions de logements restent vides, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) continue de financer des programmes de démolition, souvent sous pretexte de rénovation urbaine.

Depuis 2003, cette politique est mise en place, financée par un plan de relance qui soutient principalement la rénovation de cités et grands ensembles. Malheureusement, un choix idéologique pervers conditionne l’octroi de ces financements : la démolition de bâtiments est une condition sine qua non pour recevoir les subventions de l'ANRU, et ce malgré les critiques des architectes, urbanistes et sociologues. Cette politique de destruction systématique, pour bénéficier de financements, est un cynisme qui ignore tous impératifs sociaux et environnementaux.

L’ADEME, organisme d'État reconnu, a souligné la folie de cette politique. Ses études révèlent que la construction neuve est beaucoup plus consommatrice de matériaux et d'énergie que la rénovation. Le béton, composant majeur des constructions neuves, est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Reconstruire plutôt que rénover multiplie par 70 la consommation de matériaux et quintuple les émissions de gaz à effet de serre. Privilégier la reconstruction sur la rénovation, c'est aggraver la crise climatique et exacerber la crise du logement.

L'aménagement urbain d’aujourd’hui doit repenser son approche, privilégiant la conservation et l'évaluation rigoureuse de chaque mètre carré de plancher existant. Il faut briser le cycle de la démolition systématique et privilégier la réhabilitation et la rénovation, moins préjudiciables à l'environnement et à la cohésion sociale.

Sur le plan social, les conséquences de la démolition sont tout aussi alarmantes. La gentrification qui suit la reconstruction chasse inévitablement les dernières communautés ouvrières des métropoles, creusant les inégalités. Il est donc vital de réfléchir avant de démolir, de choisir des méthodes qui respectent l'environnement et le tissu social. Notre héritage urbain, ces bâtiments et espaces transmis de génération en génération, méritent une gestion plus sage et durable.

Le projet du Grand Bellevue voit trop grand et oublie le petit.

Chaque jour, des démolitions se déroulent dans une indifférence presque totale. À Nantes, le projet ANRU du Grand Bellevue prévoit la destruction de 20 logements sociaux, menaçant l'avenir et le bien-être des résidents qui chérissent leur lieu de vie. Dans une métropole comme Nantes, où 38 000 personnes cherchent un toit abordable, détruire des logements viables est un non-sens absolu, une trahison des crises du logement et du climat. Chaque structure rasée représente un refuge perdu, un gaspillage de ressources inestimable. La situation est d'autant plus alarmante que 25 000 logements demeurent vacants dans la métropole (Source : DAL44).

Lors de nos visites aux habitants du 34 et 36 rue Romain-Rolland, nous avons été frappés par leur bonheur et leur attachement a ces logements. Sains, confortables et récemment rénovés, ils sont menacés par la logique implacable de l'ANRU. Ces habitants, satisfaits de leur cadre de vie, de leurs voisinages de palliers sont confrontés à l'implacabilité des bulldozers, dans un contexte où leur satisfaction devrait être l'indicateur principal, plutôt que les incitations financières.

La récente réunion à la mairie de Nantes, en présence des habitants et des associations de défense du droit au logement, a mis en lumière l'indifférence de la mairie face à leurs préoccupations. Malgré leur demande d'un moratoire, la mairie est restée intransigeante, accusant même les associations venant en aide aux habitants de parti pris politique. Cette attitude indifférente face aux réactions et aux besoins des habitants est déchirante.

Cette situation reflète un combat inégal, où la cause sociale a perdu sa boussole et où les décisions se prennent à la force. À la veille des vacances de Noël, les résidents ont bravé cette adversité : ils ont organisé une fête conviviale avec chocolat chaud et échanges chaleureux, défendant leur bonheur face aux bulldozers. Lors de cet événement, nous avons approfondi le dialogue avec les habitants. Les motifs de cette démolition demeurent flous, d'autant plus qu'aucune reconstruction n'est prévue à la place de ces logements. La justification invoquée, celle d'améliorer la visibilité depuis la rue Romain Rolland où passe le tram 1, est particulièrement discutable. Derrière cette barre de logements de 102 mètres, se trouve le lycée privé Sacré-Cœur La Salle. Serait-ce pour mieux exposer un établissement privé ? L'argument de la visibilité pourrait être pertinent dans un projet de rénovation urbaine où la sécurité des résidents est en jeu, mais la démolition d'une petite barre linéaire dans ce contexte semble totalement illogique.

Ecouter la voix de la vie entre les murs.

Ignorer les voix des habitants pour privilégier une politique de gentrification est une démarche profondément injuste. Le refus de la mairie de renégocier avec l'ANRU de suspendre ce projet de démolition de ces 20 logements est incompréhensible. Les récits des habitants révèlent que de nombreux destins ont déjà été brisés dans le quartier suite à des démolitions précédentes. Pourquoi répéter ces erreurs ? Des familles dont les logements ont été détruits se sont retrouvées déplacées, des liens de voisinage ont été brisés, et la crainte de se retrouver dans des situations précaires et dangereuses est palpable. Que ce soit à Romain Rolland ou ailleurs, tout habitant mérite de vivre dans la sérénité et le bonheur.

Il est impératif de questionner cette politique destructrice et de chercher des alternatives respectueuses des habitants. Nous soutenons fermement les résidents dans leur lutte contre cette politique de destruction. Il est urgent de repenser notre manière de conduire la rénovation urbaine, en plaçant l'humain et l'écologie au centre des décisions. La démolition n'est pas la seule option : envisager la surélévation des bâtiments existants offre non seulement la possibilité de conserver des logements, mais également d'améliorer le cadre de vie des résidents. La surélévation de cette barre d'habitation pourrait non seulement ajouter des logements supplémentaires, mais aussi améliorer le confort des résidents en y ajoutant un ascenseur, absent actuellement. Cette approche, encore trop peu utilisée en France, représente une solution précieuse pour lutter contre l'étalement urbain et préserver les foyers existants.

Pour reprendre les mots de l'architecte Philippe Madec « Nous avons une seule planète, une seule humanité. » Chaque année, 1 % de nouvelles constructions s'ajoute à notre patrimoine bâti. Le défi des prochaines décennies sera de prendre soin des 99 % déjà existants. Les bâtiments mal conçus d'hier peuvent et doivent être améliorés. La réhabilitation, plutôt que la démolition ou la construction neuve, doit redevenir une priorité.

Qu’il s’agisse de 2.000, 200 ou 20 logements, ce qui se passe ici est un appel à la conscience et à l'action pour préserver notre tissu urbain et social. Les habitants de Romain Rolland, comme tous les citoyens, méritent un environnement de vie épanouissant et sûr. Faire mieux c’est défendre le droit au bonheur et à la qualité de vie dans nos villes. Et face à l’ANRU, inspirons-nous justement des mots de l'écrivain Romain Rolland : 'La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté'. Nous l’oublions trop comme citoyens : nous avons la volonté et la détermination nécessaires pour changer les choses.


William Aucant

Architecte Diplomé d’état, Conseiller Régional et Militant pour le Climat et le Logement

Avec son expertise en architecture et urbanisme, William témoigne d'un engagement sans faille en faveur de la ville de la justice à l'ère du dérèglement climatique. Fort de ses expériences à travers l'Europe, il apporte une vision globale aux projets urbains, intégrant des méthodes constructives et participatives venue d'ici et d'ailleurs. Dans sa pratique, il promeut la ville-nature, la juste mesure et le droit à la ville. En 2019, il fait partie des 150 citoyens français sélectionnés pour participer à la Convention Citoyenne pour le Climat, expérience qui marquera un tournant et le poussera vers un engagement politique actif dès 2021 pour défendre les initiatives écologiques et sociales au niveau régional. Son engagement envers le climat, le ménagement du territoire, la participation citoyenne, et l'accès au logement et à la nature caractérise son action politique locale.

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

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