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15 avr. 2023

Ami, entends-tu ?

L'inaction climatique qui indigne


Demain, mardi 16 avril, je témoignerai pour la cinquième fois en tant que membre de la Convention Citoyenne pour le Climat dans un procès de militant écologiste. Cette convention, rappelons-le, nous a rassemblé, 150 citoyens tirés au sort pour proposer des solutions concrètes afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030, tout en garantissant la justice sociale.

Mais ce procès est à Nantes, ma ville, ce qui lui confère un caractère particulièrement symbolique pour moi. Ici, où je vis, travaille, et me déplace, ce n’est pas l'État, habituellement partie civile, qui se trouve en accusation. Au contraire, c'est notre propre collectivité, la métropole de Nantes, confrontée à un militant écologiste, Grégoire, membre de Dernière Rénovation (mouvement devenu aujourd’hui Riposte Alimentaire). Le prévenu risque une amende considérable de 8.000 € et une inscription au casier judiciaire pour avoir exigé de l’état une politique de rénovation plus ambitieuse.

Bien que ces méthodes ne soient pas les miennes – j’ai pour ma part choisi la voie du débat dans un hémicycle, je comprends profondément que la désobéissance civile n'est pas en soit qu’une rébellion mais un cri de désespoir face à l'inaction politique. J’entends ce désespoir et toi, ami, entends-tu ?

Dans cette note de blog, je vous invite à explorer avec moi le témoignage que j’ai l’habitude de déposer dans les cours de justice à travers la France, de Paris à La Rochelle, d'Auch et demain à Nantes.

L’expérience la plus civique de toute ma vie

Quand on me demande si j’ai été témoin de l’action, je réponds que j'ai surtout été témoin de l'inaction, une inaction d'un État déjà condamné à deux reprises pour sa léthargie face au climat. Je témoigne que tout a déjà été tenté de manière démocratique pour éviter d'en arriver là, et pourtant, nous y sommes. Dans le cas de la convention citoyenne, c’est même l’état qui est venu chercher des citoyens pour les former et être force de proposition, là où ils avaient échoués lamentablement. Aujourd’hui, plus que jamais, il est crucial que les décideurs et mes collègues élus à la métropole entendent cet appel à l'action politique.

Tout a commencé un samedi matin d'août, un appel téléphonique m'a annoncé que j'avais été tiré au sort pour participer à la Convention Citoyenne pour le Climat. Initialement, je pensais à un gag — qui, à l'époque, connaissait vraiment ce qu'était une convention citoyenne ? Mais c'était bien réel : les neuf mois de l'expérience la plus civique de toute ma vie, les 500 pages recto verso (pour ceux et celles qui ont déjà eu une ramette de papier entre les mains, on parle de cet ordre de grandeur), les 14 heures par semaine de formations, lectures et réponses aux interviews, les 149 mesures de pur bon sens citoyen élaborées par autant de participants venus de toutes les régions de France et de tous horizons. Tous ces éléments ne peuvent venir contredire cette réalité.

Lien du tweet : https://x.com/WilliamAucant/status/1180045759292596225

En tant que membre actif, j'ai pu observer de près l'échec du président de la République à honorer son engagement de transmettre sans filtre au parlement les mesures que nous avions élaborées. J'ai directement contribué aux propositions du groupe de travail "Se Loger", notamment celles de la division par deux du rythme d'artificialisation des sols et celle qui nous intéresse ici, rendant la rénovation énergétique globale des bâtiments obligatoire d'ici 2040. Nous demandions à la France de se lancer dans ce vaste chantier, nécessaire pour rénover 20 millions de logements, dont environ 5 millions de passoires thermiques, sur une période de 20 ans — un objectif ambitieux mais réalisable à un rythme de 500 000 logements par an à partir de 2020.

La réponse que nous avions reçue alors ? Plutôt que de s'engager fermement dans cette voie, la loi Climat a simplement traduit notre mesure en une interdiction de louer des passoires thermiques de niveau E, F et G à partir de 2028, sans aucun engagement supplémentaire ni en termes de durée ni d'intensité comparable à ce que nous avions proposé. C'était comme demander un sandwich dans une boulangerie et se voir remettre seulement quelques feuilles de salade. Si nous voulons stabiliser le climat, nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre jusqu'à atteindre zéro, et la rénovation thermique est une démarche pragmatique pour agir sur 16 % de nos émissions et 40 % de nos besoins en énergie. L'action est urgente : c'est maintenant ou jamais.

De 150 citoyens tirés au sort à 67 millions de français

Vous connaissez surement la suite de cette histoire, elle a touché bien des cœurs et suscité de nombreuses discussions. Lors de mes près de 200 déplacements à travers la France, je vous ai partagé les coulisses de cette initiative démocratique inédite. Souvent, vous m'interrogiez : « Ça devait être incroyable de participer, mais au final, n'êtes-vous pas trop déçu ? ». Initialement, la déception initiale face à l'échec des promesses a rapidement laissé place à une indignation profonde. L'indignation d'un engagement citoyen transformé en spectacle politique sans véritable impact, où les mesures urgentes ont été filtrées et jokérisées.

Une indignation peut prendre diverses formes. Personnellement, j'ai choisi de canaliser cette énergie dans l'arène politique, espérant peser avec d'autres camarades de l'intérieur des institutions. D'autres, cependant, n’ont qu’eux même pour alerter et certains optent pour des actions de désobéissance civile pour secouer l'opinion publique. Allant jusqu’à la remise en cause de leur liberté individuelle, pour exiger une action climatique plus directe.

La campagne "Dernière Rénovation" en est un exemple manifeste. Ce collectif appelait à l'adoption immédiate des mesures proposées par notre Convention, notamment ce plan ambitieux de rénovation thermique globale des bâtiments, sans les filtres ni les dilutions habituels.

Cette campagne, loin de s'opposer à tout, invite résolument à l'action. Elle repose sur une proposition simple et pragmatique, fondée sur des données claires et des besoins bien définis. La rénovation thermique des bâtiments est une démarche bien maîtrisée : nous connaissons les coûts, estimés en moyenne à 40 000 euros par logement, et les bénéfices, notamment une réduction significative de la consommation énergétique et in fine aux émissions de gaz à effet de serre, bénéfique donc au climat et à l’économie des ménages.

Nous avons également une parfaite connaissance des ressources nécessaires, tant en termes de main-d'œuvre que de matériaux. Contrairement à des défis technologiques de taille, comme faire voler un avion sans kérosène, l'isolation de nos logements ne requiert ni techniques révolutionnaires ni innovations de pointe. Nous avons déjà les outils et les compétences : il ne nous reste plus qu'à les mettre en œuvre efficacement.

Face à tant de pragmatisme, il m'est naturel, en tant que membre de cette convention, de témoigner dans ces procès. Devant un gouvernement souvent indifférent, voire récalcitrant, des citoyens engagés se sont indignés et ont pris le flambeau de notre travail.

Le 3 juin 2022, l'image d’Alizée s'attachant au filet de Roland-Garros avec un T-shirt proclamant « Nous avons 1028 jours restants », a frappé les consciences. Ce message, basé sur les alertes du GIEC qu’il nous restait trois ans, a été suivi par d'innombrables actes de désobéissance civile non violents mais frappants, à l’instar des militants collant leurs mains au sol avant le Tour de France pour interpeller sur l'urgence climatique.

Ces actions, quoique pacifiques, font l'ire des réacs. Elles ne font, pourtant, que mettre en lumière la véritable violence : celle d'un système et d'un gouvernement qui, malgré avoir sollicité nos contributions ou celle des scientifiques ou d’experts, les a largement ignorées. Il est crucial de regarder au-delà de ces actions pour saisir le message profond qu’elles portent. Ne vous êtes vous pas posé cette question du pourquoi ces jeunes en arrivent à se coller la main à la route ?

Depuis le début de ces actions, le débat sur la rénovation thermique a gagné en visibilité comme jamais auparavant. Le sommet de cette mobilisation a vu 12 milliards d’euros alloués par les députés en novembre 2022 à la rénovation thermique être annulés abruptement par le gouvernement, un revirement symbolisé par le recours répété à l'article 49 alinéa 3, qui a balayé l’espoir d’un engagement financier ferme et à la hauteur pour cette action.

Des nouvelles du front

Quatre ans se sont écoulés depuis la conclusion de la Convention Citoyenne pour le Climat. Aujourd'hui, je me pose ces questions : Combien de temps encore Emmanuel Macron mettra-t-il pour orchestrer la généralisation d'une stratégie dont les coûts et les bénéfices sont clairement établis ? Combien de temps faudra-t-il pour susciter un choc de la filière de la rénovation thermique et augmenter ainsi le nombre d’artisans qualifiés disponibles ? Quand verrons-nous le lancement de campagnes d'envergure, village par village, quartier par quartier, pour convaincre les banques et les 67 millions de Français que la rénovation est la voie à suivre et ainsi démarrer ce grand chantier ?

Depuis quatre ans, deux millions de logements auraient dû être rénovés pour sortir nos concitoyens de la précarité énergétique. Entre-temps, une crise énergétique nous pousse encore plus près du mur que nous tentons collectivement d'éviter. Et l'annonce en janvier dernier par Bruno Le Maire, prévoyant une réduction drastique des aides à la rénovation énergétique à hauteur de 1 milliard d'euros pour 2024, résonne comme une gifle pour tous ceux engagés dans cette lutte.

2028, c'est dans quatre ans ; que ferons-nous alors que ces logements retirés du marché s'ajouteront à la crise aiguë du logement que nous traversons actuellement ? L'unique réponse que j'ai reçu de la majorité régional étant que les matériaux sont devenus trop chers aujourd'hui pour que la région contribue massivement à la rénovation thermique des logements. Mais est-ce bien recevable de la part d'une collectivité qui a pour compétences la formation et l'emploi ? Ne peut-elle pas investir dans ces filières afin de faire baisser les coûts ?

Lien du tweet : https://twitter.com/WilliamAucant/status/1773755802626428953

Des solutions concrètes sont nécessaires. La rénovation thermique des bâtiments exige des efforts, certes, mais surtout une volonté politique de rassembler des partenaires financiers et de se retrousser les manches. La rénovation génère de l'emploi, et il y en aura en abondance dans le secteur de la rénovation. Si la région ne souhaite plus s'engager à améliorer la vie de ses habitants, qu'elle le dise clairement et cesse toutes apparences. Au minimum, nous l’appelons, à l’instar du CESER dans cette période où les matériaux de ce secteur à s'appuyer sur ces compétences d'emploi et de formation pour répondre aux besoins futurs en main-d'œuvre qualifiée et en matériaux durables, en mettant l'accent sur la formation professionnelle et le soutien aux entreprises spécialisées dans les matériaux biosourcés. L'investissement dans l'écologie est la seule économie de demain.

Et Nantes Métropole dans tout ça ?

Au cœur de l'effort de rénovation énergétique, Nantes Métropole a démontré un engagement plus significatif que la région dirigée par Christelle Morançais. La Métropole dispose d'un budget conséquent alloué au dispositif local, venant en complément de MaPrimeRénov, avec une attention particulière portée aux copropriétés. Cela est positif : une équipe dédiée offre des conseils gratuits et promeut une rénovation globale visant le label BBC. Les montants d'aides fournis par Nantes Métropole sont comparables à ceux de MaPrimeRénov, soit environ 30 % du coût total par projet.

L'objectif fixé est ambitieux : soutenir 10 000 rénovations d'ici 2030, et jusqu'à présent, ce rythme est maintenu. Cependant, il est essentiel de continuer à vérifier ces chiffres et de réfléchir à des améliorations possibles. Depuis 2018, et le vote d'un budget de 60 millions d'euros pour le plan de rénovation, de bonnes pratiques ont été établies. Néanmoins, nous pourrions envisager une montée en puissance progressive et étendre nos objectifs au-delà de 2030 pour aller encore plus loin. Nantes fait bien dans ce domaine, mais peut faire mieux.

Pour renforcer cet élan, à Faire Mieux, nous appelons à la création d'une agence locale de la solidarité énergétique. Cet outil servirait à identifier les foyers nécessitant une intervention et à faciliter leur financement. Faisons également du pays nantais, une pépinière pour la formation d'artisans et la production de matériaux durables, essaimant ainsi l'expertise en rénovation à travers tout le département et au-delà. L'un des principaux obstacles actuels à la rénovation est la saturation des artisans, souvent réservés plusieurs mois à l'avance, et le coût des matériaux. Ce programme contribuerait à résoudre ce problème en augmentant la disponibilité et l'efficacité des ressources locales.

Malgré ces avancées, une question pressante demeure : pourquoi Nantes Métropole n'a-t-elle pas retiré sa plainte pour une action représentant un cri de désespoir de militants écologistes face à l'urgence climatique à destination de l’état ? Ces actions, bien que symboliques, ne devraient pas être confondues avec de la délinquance. Elles expriment une volonté ardente d'accélérer les réformes nécessaires pour sauvegarder nos conditions même d’existence.

J'appelle mes camarades décisionnaires à la métropole qui liront ces lignes, à renoncer à cette poursuite judiciaire et à se joindre à un mouvement plus large qui réclame une action climatique efficace. Ensemble, faisons pression sur l'État pour qu'il assume ses responsabilités et mette en œuvre les grands travaux nécessaires à la rénovation énergétique.

Demain, je témoignerai, comme l'un des 150 citoyens engagés de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui ont assisté au premier rang à la faillite de l'État en matière d’action climatique. Je témoignerai que tout a été tenté pour transformer la rénovation thermique globale en une véritable mesure de justice sociale et environnementale avant d'en arriver là.

Cependant, je suis profondément troublé de voir que la ville où je réside, plutôt que d'être une alliée, se positionne en accusatrice. J'appelle Nantes Métropole à retirer sa plainte contre Grégoire et à répondre à l'appel urgent pour le climat. Amie, entends-tu ?


William AUCANT

Architecte Diplomé d’état, Conseiller Régional et Militant pour le Climat et le Logement

Avec son expertise en architecture et urbanisme, William témoigne d'un engagement sans faille en faveur de la ville de la justice à l'ère du dérèglement climatique. Fort de ses expériences à travers l'Europe, il apporte une vision globale aux projets urbains, intégrant des méthodes constructives et participatives venue d'ici et d'ailleurs. Dans sa pratique, il promeut la ville-nature, la juste mesure et le droit à la ville. En 2019, il fait partie des 150 citoyens français sélectionnés pour participer à la Convention Citoyenne pour le Climat, expérience qui marquera un tournant et le poussera vers un engagement politique actif dès 2021 pour défendre les initiatives écologiques et sociales au niveau régional. Son engagement envers le climat, le ménagement du territoire, la participation citoyenne, et l'accès au logement et à la nature caractérise son action politique locale.

© 2024 FAIRE MIEUX - TOUS DROITS RESERVES

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